Mon meilleur ennemi
« - Regrettez-vous certains actes de votre vie ?
- Jai peut-être commis quelques erreurs, mais un homme doit rester fidèle à sa ligne de conduite »
On croyait bien connaître Klaus Barbie, infâme criminel de guerre nazi nommé « le boucher de Lyon » pour y avoir sévit durant loccupation, et qui a été jugé à Lyon dans un procès retentissant dans les années 80 avant de mourir en prison. A son sinistre palmarès, on retiendra larrestation, la tortue et lassassinat du Chef de la Résistance, Jean Moulin, ainsi que la déportation de 44 enfants juifs et de leurs éducateurs du pensionnat dIzieu. Mais entre ses crimes de guerre et son procès tardif, peu de gens connaissent réellement ce qua été la vie de Barbie. Un destin hors normes dun bourreau fanatique sans répit, impliqué dans de nombreux évènements importants et symptomatiques de laprès-guerre et de la guerre froide. Un bourreau qui a échappé durant longtemps à ses juges grâce au soutien complice des occidentaux qui ont acheté ses services et ses réseaux pour lutter contre la menace communiste
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« Il avait cette capacité à la cruauté et à la violence, cette volonté de dominer les autres »
Kevin MacDonald, réalisateur écossais, sétait fait remarqué lannée dernière grâce à son « Dernier roi dEcosse », portrait semi-fictif du dictateur ougandais Idi Amin Dada. Film qui sera auréolé de lOscar du meilleur acteur pour Forrest Whitaker. Ce que lon sait peut-être moins, cest quavant de se lancer dans son premier long de fiction, MacDonald sest construit une solide réputation de réalisateur de documentaire, carrière quil a débuté voilà près de quinze ans. Outre le récit semi-fictif de « La mort suspendue » (2004), on lui doit surtout « Un jour en septembre », documentaire réalisé en 1999 sur la prise dotages aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, et pour lequel il avait reçu lOscar du meilleur documentaire en 2000. Avec de telles réalisations à son crédit, pas étonnant de retrouvé MacDonald aux commandes dun documentaire sur un personnage aussi sombre de lHistoire. Dabord lancé sur un projet de documentaire sur lavocat Jacques Vergès (qui ne verra pas le jour en raison des difficultés de MacDonald à cerner et interviewer cet homme quil dit « manipulateur », le projet sera repris avec succès par Barbet Schroeder qui en tirera le documentaire sorti il y a quelques mois « Lavocat de la terreur »), MacDonald sintéressera aux affaires défendue par ce dernier et (re)découvrira ainsi lincroyable passé de Barbie, ce qui lui donnera envie de lui consacrer un film. A noter que Klaus Barbie avait déjà fait lobjet dun film documentaire, « Hotel terminus : Klaus Barbie, sa vie et son temps », réalisé par Marcel Ophüls en 1988.
« Barbie nous est encore utile. Quand il ne nous le sera plus, on le donnera aux français »
Voilà un documentaire passionnant dont on ne ressort ni indemne ni indifférent. Cette histoire stupéfiante, très bien documentée, se lit sous deux axes. Le premier dresse le portrait terrifiant dun homme barbare, violent et totalement acquis à une idéologie criminelle. Ainsi, les quarante années qui ont séparé la fin de la seconde guerre mondiale de son arrestation ont vu Barbie mener une vie rocambolesque digne des romans despionnage les plus farfelus, passant de chef de réseau de contre-espionnage à la solde des occidentaux, à conseiller spécial des dictateurs issus de la junte militaire bolivienne. Une junte quil soutiendra et replacera au pouvoir (en renversant un éphémère gouvernement démocratique) avec laide de paramilitaires nazis pour tenter dinstaurer un IV Reich en Bolivie avant dêtre finalement lâché par les américains. De ce portrait on retiendra limage effroyable de cet homme, père de famille et époux model dun côté, et incarnation même du mal de lautre, capable sans scrupules de la pire barbarie au nom dun idéal raciste et violent auquel il croira jusquà la fin. On retiendra également le cynisme écurant de cet homme au sourire glaçant, qui joue au chat et à la souris avec les autorités et les médias, se revendiquant tantôt Klaus Barbie tantôt Klaus Altman simple citoyen bolivien, revendiquant à demi-mot et avec fierté les pires crimes, et répétant que ceux-ci étaient excusables car ayant été perpétrés pendant la guerre, ou encore allant se receuillir incognito sur la tombe de Moulin lors d'une visite à Paris en 1970. Le deuxième axe de lecture de ce film est tout aussi passionnant, mettant en avance limplication des gouvernements occidentaux, notamment américains, dans le soutien apporté aux criminels de guerre nazis quils ont couvert et protégé en échange de leurs réseaux dinformateurs et despions contre la menace soviétique. Un système à deux vitesses où les américains et leurs alliés ont pu se vanter dans un premier temps davoir triomphé de la barbarie, et finalement aussitôt pactiser avec ceux quils ont combattu et représentaient quelques mois plus tôt la barbarie. Une critique moralement acerbe dun monde malade et corrompu, des relations internationales et de la politique occidentale, qui trouve un écho dautant plus fort que lHistoire semble se répéter, rappelant par là quavant de combattre le réseau Al-Qaeda, les américains avaient largement soutenu (politiquement, militairement et financièrement) les talibans dans leur combat contre les soviétiques.
« - Pensez-vous que lEurope, lOccident, le monde doivent oublier vos crimes ?
- Oui. Il y a eu tellement de crimes à travers le monde depuis
- Les français, eux, semblent navoir pas oublié.
- Moi jai oublié. Si eux ne veulent pas oublier, cest leur problème »
Outre le méticuleux travail journalistique et documentaire de MacDonald, on ne pourra que saluer sa réalisation soignée. Montée comme un thriller nerveux, le film enchaîne les images darchives (dont beaucoup sont inédites), entrecoupées de témoignages marquants et toujours pertinents dhistoriens, de personnalités politiques, ou de personnes ayant connu Barbie, tous dhorizons ou davis différents sur le personnage. Si certains dentre eux, partageant la même idéologie, font froid dans le dos, on sera dautant plus bouleversé par le témoignage des victimes de Barbie (comme cette vieille dame partie avec Beate Klarsfeld en Bolivie pour tenter dobtenir lextradition de Barbie, et dont les deux petites filles font parties des victimes dIzieu). Ajoutons à cela lexcellence du choix dAndré Dussolier comme narrateur. Ce dernier, dune sobriété absolue, renforce cette impression agréable dobjectivité dans le travail documentaire, qui ne fait quamplifier lhorreur du personnage.
« Quand jai commis ces actes, cétait la guerre. Et la guerre, cest fini »
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Personnalité hors normes, Mal incarné, ayant traversé les 40 années de laprès-guerre en jouant un rôle actif et en participant à de nombreux évènements marquants de la Guerre Froide (comme lélimination de Che Guevara), Klaus Barbie restera comme un des personnages les plus terrifiants du 20ème siècle. Appuyé par un travail journalistique et documentaire étayé et impressionnant, Kevin MacDonald signe un documentaire passionnant sur le « boucher de Lyon ». Mais plus que ça, avec une pertinence et une intelligence dune grande subtilité, il démontre comment les pays occidentaux ont laissé proliférer le mal et la barbarie en pactisant et en protégeant ses sinistres personnages (comme ils feront plus tard avec Ben Laden), porteurs dintérêts à courts termes. Un film essentiel, passionnant, à voir absolument.
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