Montgomery Clift, l'étoile filante
Edward Montgomery Clift est né le 17 octobre 1920 à Omaha, Nebraska. Fils dun père banquier et homme daffaires, et dune mère issue de la haute société, il a un frère et une sur jumelle. Malgré une enfance aisée, durant laquelle sa mère veut faire de ses enfants de parfaits petits aristocrates, Montgomery naura pas une enfance heureuse. Sa mère, qui ne supporte plus son mari, part avec ses enfants pour lEurope, pendant que ce dernier part fructifier son capital à New York. De ce long voyage et de cette longue séparation, Montgomery gardera des facilités pour les langues (il parle à peu près français, italien et allemand), et surtout un caractère renfermé et solitaire, ayant du mal à se faire des amis.
La crise de 29 et les difficultés financières de M. Clift obligent la petite famille à rentrer au pays. Un retour qui satisfait le jeune Montgomery, qui demeure un enfant frêle à la santé fragile. Très tôt, il se découvre une passion pour le théâtre et pour les planches. Repéré très jeune par le directeur dune troupe, il fait ses début à Broadway alors quil nest encore quun adolescent (il joue dans « Fly away home » alors quil na même pas 15 ans). Se piquant vraiment au jeu, choisissant judicieusement ses rôles, il va connaître une période faste, devenant lune des valeurs sûres de Broadway pendant près de dix ans. Dix années de succès critiques et publics qui attireront lattention des studios hollywoodiens qui lui mènent une cour assidue. En vain. Prenant du plaisir sur scène et plus encore à travailler ses rôles, Clift côtoie ainsi toute une génération de comédiens et de metteurs en scène brillants, parmi lesquel Elia Kazan. Une ombre au tableau apparaît cependant en 1942, Clift étant obligé dabandonner la pièce de Kazan en raison dune crise de colite. Plusieurs semaines de convalescence lui seront nécessaires et cest à ce moment-là que Montgomery commencera à prendre des quantités de médicaments.
Humble, travailleur, fier et intègre, Montgomery Clift ne veut pas partir à Hollywood à nimporte quel prix. Il a lambition de faire une belle carrière mais veut choisir ses rôles et ses films sans se compromettre. Mais sous la pression dune mère omniprésente et étouffante qui contrôle sa vie, lobligeant un peu plus à cacher son homosexualité, et une lassitude de Broadway où son talent insolent lui valent quelques jalousies, il voit dans loffre qui lui est faite de jouer dans le prochain film de Howard Hawks comme un signe. Bien que novice en terme de western, il se préparera avec beaucoup denthousiasme et donnera ainsi la réplique au déjà légendaire John Wayne dans « La rivière rouge » (1948). Sa performance sensible et fragile, loin des héros standards de lépoque, viriles et machos, impose un nouveau type de héros au cinéma. Il impose ainsi le respect à un Wayne déconcerté. Ses prestations du même calibre dans « Les anges marqués » (Zinnemann 1948), qui lui vaut sa première nomination aux Oscars, « Lhéritière » (Wyler 1949), ou encore « La ville écartelée » (Seaton 1950) aux côtés de Paul Douglas, limposent définitivement comme le jeune premier le plus talentueux du moment auprès du public et de la critique. Cest aussi le début pour lui dune période quil vit mal, traqué jusque chez lui par des fans hystériques et obligé par les studios de safficher à toutes les occasions publiques avec une succession de starlettes.
Commence alors la période faste de sa carrière, période qui souvre avec le tournage de « Une place au soleil » (Stevens 1951), qui lui vaut une deuxième nomination aux Oscars, et sur lequel il rencontre une jeune débutante de 17 ans, qui tombe éperdument amoureuse de lui, Elizabeth Taylor. Jouant dabord les cyniques désabusés face à elle, il se laissera prendre peu à peu gagné par la sincérité de la jeune femme, qui jusquau bout sera sa plus fidèle amie et son plus fidèle soutient. Le film est un énorme succès et la performance de Clift est unanimement saluée. Il inspire ainsi une nouvelle génération de jeunes comédiens qui revendiquent une sensibilité accrue et linterprétation dhommes qui ont enfin le droit de douter. Parmi eux, on y retrouve Marlon Brando et James Dean, ce dernier signera ses autographes « Jimmy Clift Dean ». Mais le succès montant lui fait prendre des mauvaises décisions : il accepte ainsi des rôles dans des films moyens (« Station terminus » de De Sica en 1954), ou qui ne sont pas des succès de premier plan (« La loi du silence » de Hitchcock en 1953), et refuse des premiers rôles dans des films de premier plan tel que « Sunset Boulevard » de Wylder.
Il retrouve la joie de jouer et le succès avec « Tant quil y aura des hommes » de Zinnemann (1953), où il est en tête daffiche devant un parterre de stars comme Burt Lancaster, Franck Sinatra, Ernst Borgnine, ou encore Deborah Kerr. Sa prestation lui vaut dailleurs dêtre nommé à lOscar du meilleur acteur, récompense qui lui échappe au profit de William Holden pour « Stalag 17 » de Wylder. Néanmoins, le succès revenu lui vaut de se voir proposer tous les grands films du moment. Sil refuse « Sur les quais » de Kazan, il accepte « Larbre de vie » de Dmytryk (1956), où il partage de nouveau laffiche avec Liz Taylor. Cest dailleurs en revenant de chez elle au soir du 12 mai 1956 quil est victime dun terrible accident de voiture (quelques semaines seulement après laccident fatal de son protégé James Dean, nouvelle qui la terriblement affecté). Laissé pour mort, il en sort totalement défiguré, son visage aux traits parfaits qui avait contribué à son succès étant totalement détruit. Protégé de la presse par ses amis Liz Taylor et Rock Hudson, il subit de nombreuses opérations prodiguées par les meilleurs chirurgiens esthétiques du pays, qui lui resculptent un visage en quelques semaines. En outre, les muscles et les nerfs du côté gauche de son visage sont morts, et sa mâchoire ne tient que par un fil métallique. Anéanti par son nouveau visage dans lequel il ne se reconnaît pas, Clift accentue encore un peu les quantités dalcool et de médicaments quil consommait déjà avec excès.
Constamment ivre, Clift, qui croit être devenu laid et qui a perdu sa confiance et son estime en lui-même, est donné pour fini par la profession. Il arrive néanmoins à décrocher lun des rôles principaux du « Bal des maudits » de Dmytryk (1958) et est ravi à cette occasion de partager laffiche avec Brando. Malgré sa composition irréprochable, les penchants éthyliques de lacteur font peur aux studios et aux assurances. Il accepte de jouer dans le dispensable « Curs brisés » de Donahue (1959), refuse « La chatte sur un toit brûlant » de Brooks, et obtient par le biais de Liz Taylor le rôle principal de « Soudain lété dernier », film couronné de succès de Mankiewicz (1959). Sa remarquable prestation lui vaut denchaîner avec des films réussis comme « Le fleuve sauvage » de Kazan (1960), « Les désaxés » (Huston 1961), où il livre une extraordinaire composition de cow-boy usé et désabusé, et au cours duquel il rencontre Marilyn Monroe avec qui il nouera une brève mais forte amitié, ou encore « Jugement à Nuremberg » de Kramer (1961), où sa performance intense mais brève, lui vaudra sa dernière nomination aux Oscars, cette fois-ci pour un second rôle. Devant ses dernières prestations, Huston insiste pour quil accepte le rôle de « Freud, passions secrètes » (1962). Mais le tournage, long et fastidieux, est un désastre, les relations entre les deux hommes étant plus que jamais conflictuelles, et Monty sombre plus que jamais dans lalcool et la dépression. En conflit avec les studios qui le donnent pour fini, Clift nest plus quune épave, alcoolique et dépressif, incapable de tenir un rôle sur la durée ni dassurer une journée complète de tournage. La traversée du désert qui lattend est le début de la fin. Une fin marquée par labandon de la plupart de ses amis. Une nouvelle fois, cest Liz Taylor qui se battra comme une lionne pour lui obtenir un rôle à ses côtés dans « Reflets dans un il dor » de Huston. Mais Montgomery Clift doit pour ça refaire ses preuves devant une caméra. Cest ce quil fait en acceptant de jouer dans « Lespion », film sans intérêt de Raoul Levy (1966). Malheureusement il ne jouera jamais dans un quatrième film avec son amie Liz Taylor, le destin en ayant décidé autrement. Il décède, esseulé, dune crise cardiaque, le 22 juillet 1966.
Malgré une filmographie finalement assez courte, 17 films en 20 ans, Montgomery Clift restera à jamais limage du renouveau Hollywoodien, faisant évoluer limage des jeunes premiers, jusquici très virils et machos, vers des personnages plus fragiles et vulnérables. Ayant joué pour les plus grands de son époque (Huston, Hawks, Mankiewicz, Zinnemann, Dmytryk, De Sica, Hitchcock, ou encore Kazan), Clift, acteur au jeu si fin, aura certainement été le comédien le plus doué de sa génération. Sorte détoile filante dans le ciel étoilé dHollywood, son jeu aura inspiré les plus grands, tels que Brando, et semble faire encore des émules de nos jours, avec des comédiens au jeu fin et subtil, tels que Edward Norton ou Ryan Gosling. Cest bien là la marque des géants.
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