Persépolis
« Javais deux grandes obsessions : me raser les jambes et devenir le dernier prophète de la galaxie »
Cétait probablement le film le plus attendu de ce début dété. Il faut dire que depuis sa présentation à Cannes et lengouement unanime quil y a suscité, le film a bénéficié dune bonne couverture médiatique dans tous les journaux et sites spécialisés. Malheureusement pour sa créatrice, Marjane Satrapi, « Persépolis » ne sera pas le premier film danimation récompensé par une Palme dor, et devra se contenter du Prix du jury, quelle partagera avec le film mexicain « Lumière silencieuse ». Le film est ladaptation dune série de quatre BD homonymes de Marjane Satrapi, sorte de journal intime où elle raconte sa jeunesse et les tourments politiques qui ont marqué cette période de sa vie. Impressions.
« Ce pays en ce moment, cest la merde, ma fille ! »
LHistoire :
1978, Téhéran. Marjane est une petite fille de 8 ans, qui vit dans une famille aisée et ouverte desprit. Elle rêve de devenir le dernier prophète et de sauver le monde. Dans un climat politique tendu, elle vit avec curiosité et exaltation les évènements qui vont conduire à la chute du Chah et de son régime. Mais très vite, le régime autoritaire est remplacé par un autre régime totalitaire, la République Islamique. Adolescente rebelle, ses parents lenvoie donc finir sa scolarité à Vienne, en Autriche, où Marjane découvre un autre type de société, vit une adolescence difficile, où elle se retrouve finalement dans une solitude extrême. Vingt années dune vie et de politique iranienne vues à travers les yeux de la petite et adolescente Marjane, et la relation, forte, quelle entretien avec ses proches qui linfluencent à différents niveaux : ses parents, démocrates convaincus, sa grand-mère, libertaire, et son oncle, dissident communiste.
« Javais connu une guerre, survécu à une révolution, et cest une banale histoire damour qui a failli memporter »
La première impression qui ressort de ce film, cest une grande émotion. Emotion tout dabord pour le récit du destin de Marjane Satrapi, qui évite en permanence tout misérabilisme, mais qui démontre par quelques anecdotes bien choisies la bêtise et la cruauté du sort. Que ce soit lévocation de sa grand-mère, vieille dame savoureuse et indigne, avec qui elle entretien une relation particulièrement forte et quelle ne reverra plus lorsquelle décide de partir, ou lévocation de ses parents, intègres, qui jusquau bout auront également tout fait pour préserver la vie de leur fille, et surtout son oncle, dissident communiste, libéré à la chute du Chah et exécuté aussitôt leuphorie de la chute du régime passée et le régime islamique mis en place. Toutes ces histoires sont racontées sans haine, mais avec beaucoup de nostalgie, jouant en permanence sur le fil ténu des émotions.
Le deuxième niveau de lecture est encore plus intéressant, puisquil dénonce le régime en place. La grande force de Satrapi, cest de faire une dénonciation sur le mode de luniversel. Elle commence par démontrer avant toute critique que le régime du Chah était une dictature, comme lest lactuelle République Islamique, évitant ainsi tout manichéisme. Ensuite, elle peint le portrait dun état autoritaire, où les libertés disparaissent au profit de nouvelles lois et de nouveaux murs contraignants (reproches les plus dingues sur la manière de shabiller, cours dart où le nu artistique est prohibé et proscrit, traque des haleines alcoolisées et corruption des gardiens de la révolution). Dans tous les cas, elle dénonce avec force la privation de libertés et le statut de plus en plus contraignant pour les femmes.
« Nous recherchions tant le bonheur que nous finîmes par oublier que nous nétions pas libres »
Sur la forme, Satrapi réalise un film audacieux, reprenant le graphisme assez simple et épuré de sa bande-dessinée. Bien plus profond quil ny paraît, son dessin épuré, mélé à un certain humour de BD, lui permet daborder avec beaucoup de légèreté des sujets vraiment graves. Avec un noir et blanc très stylisé (la couleur napparaît que pour les très rares scènes se déroulant au temps présent), elle nous raconte un passé finalement assez sombre. Pour autant, au niveau du scénario, Satrapi prend garde à ne jamais sombrer dans le drame le plus noir qui soit, et si elle arrive à préserver de vraies plages démotions pures dans certaines scènes (la visite à son oncle en prison, ses années de dérives à Vienne, la dernière nuit avec sa grand-mère), elle sait également manier lhumour avec beaucoup de subtilité (son enfance pendant la chute du Chah, la transformation de son corps), celui-ci permettant de donner à ce « Persépolis » un ton vraiment original, surtout pour traiter dun sujet aussi grave.
Satrapi peut aussi senorgueillir dun casting de voix phénoménal, en tête desquels brillent particulièrement Chiara Mastroianni (dans le rôle de Marjane adolescente et femme), et Danielle Darrieux, très brillante en grand-mère au franc parler impressionnant. On y retrouve aussi dautres pointures comme Catherine Deneuve et Simon Abkarian.
« Cest la peur qui nous fait perdre nos consciences »
Pour conclure, avec ce « Persépolis », Marjane Satrapi réalise un coup de maitre, adaptant sa célèbre bande-dessinée, sorte de journal intime de sa jeunesse, sur grand écran. Avec un graphisme à la fois simple en apparence et profond et stylé à la fois, elle nous livre une chronique douce-(très)amère sur sa jeunesse en Iran, bouleversée par les évènements politiques graves qui ont secoué ce pays ces trente dernières années. Elle en profite pour critiquer de manière intelligente et caustique le régime en place, se rebeller contre les lois liberticides et la condition de la femme. Avec ce grand film, sorte dappel à la liberté, Marjane Satrapi réalise probablement le film danimation le plus intelligent de ces dernières années. Une réelle réussite, un film quil est essentiel de voir !
Commenter cet article