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16 Jul

Délice Paloma

Publié par platinoch  - Catégories :  #Drames

« Aldjéria, c’est mystérieux, ça plait à tout le monde : hommes, femmes, chiens, chats… »

 

Chef de file des cinéastes algériens filmant la société algérienne de manière moderne et réaliste dans ce qu’elle a de paradoxale, Nadir Moknèche nous revient donc avec son troisième long métrage. Après « Le harem de Mme Osmane » en 2000, et « Viva Ladjérie » en 2004, voici donc le dernier venu « Délice Paloma ». Les portraits de la société algérienne dressés dans ses films sont toujours intéressants, car ils nous offrent une petite fenêtre pour voir un monde dont finalement nous ne savons pas grand chose. Entre le climat de guerre civile qui a pesé comme une chape de plomb sur le pays dans les années 90 et le début des années 2000, la crise économique, le poids des cultures et l’influence occidentale, ce genre de film permet entre autre de nous présenter une autre réalité. Porté par une bande-annonce qui, a coup d’images ensoleillées et de musique suaves avait su éveiller ma curiosité, ainsi qu’une critique presse globalement bonne, je me devais d’aller voir ce film. Résultats des courses.

Les Films du Losange

 

« J’ai des filles superbes, des bombes atomiques à faire rêver les iraniens !!! »

 

L’histoire :

 

Mme Aldjéria sort de prison. Qu’est-ce qui a pu mener cette femme, ancienne « bienfaitrice nationale », fournissant moyennant finances toutes sortes de services, allant de l’escort girl au permis de construire en passant par l’élimination d’un concourant commercial, à passer trois années derrière les barreaux ?

Pourtant, dans le contexte d’une société corrompue, les affaires semblaient florissantes. Mais entre le souhait de racheter les thermes de Caracalla, prestigieux établissement de cure à l’abandon où travaillait sa mère et symbole d’une volonté de renouveau et d’accomplissement pour elle et son clan, et l’arrivée de sa dernière trouvaille, la superbe danseuse Paloma, qui attise désirs et jalousies autour d’elle, l’équilibre qui semblait rendre l’entreprise dynamique est plus que jamais précaire…

 

« Les clients ont toujours raison, et les putains toujours tort »

 

Avant d’aller plus loin, je dois d’ores et déjà faire part de mon emballement vis-à-vis de ce film et dire qu’il s’agit pour l’instant d’une des plus belles surprises de l’année. Moknèche nous invite à une plongée dans la vie algérienne, et plus particulièrement algéroise, pour dresser un tableau original de la société, probablement plus vrai que celui que les médias veulent bien nous dresser. La société y est partagée, entre poids des valeurs et de la religion d’un côté, corruption et crise économique d’un autre, et trafic, alcool et soirées de fêtes. Dans ce climat contradictoire, il dresse les portraits d’une série de personnages savoureux, en premier lieu desquels Mme Aldjéria, sorte de parrain maffieux, exubérante, possessive et attachante, personnage fort et au caractère bien trempé qui sort des sentiers battus puisque c’est une femme et qu’elle accepte de mener sa vie comme un homme le ferait. A ses côtés, il y a Shéhérazade, personnage à mon sens symbole de toute cette contradiction sociale, puisqu’on la découvre d’abord en femme émancipée et battante, avant de la retrouver mariée et complètement voilée à la sortie de prison de l’héroïne. Reste enfin le beau Riyad, le fils d’Aldjéria, qui semble frêle et immature au milieu de ces femmes de caractères, et qui rêve de partir pour l’Italie à la recherche d’un père dont il ne sait rien, et la belle Paloma, ingénue à la beauté ensorcelante, qui va semé malgré elle la discorde au sein de ce clan.

 

Sur un scénario habile et intelligent, appuyé sur des personnages forts et particulièrement bien dessinés, Moknèche construit son film de manière originale, autour de ce que Hitchcock appelait un « McGuffin » (à savoir une intrigue principale dont le dénouement est totalement secondaire, qui ne sert qu’à promener le spectateur), à savoir un développement façon polar qui nous raconte les anciennes activités d’Aldjéria et les raisons de sa chute. Mais au fond, ce qui intéresse ici Moknèche, c’est bien évidemment de nous faire un portrait réaliste de la société algérienne actuelle, où les combines sont reines, et où les traditions doivent cohabiter avec les mœurs occidentales. Moknèche filme ainsi de manière assez légère et avec beaucoup de chaleur ses personnages et les paysages. Ses images sont souvent lumineuses, joyeuses, et on y sent tout le recul du bonhomme lorsqu’il aborde les problèmes de la société. Ainsi, s’il arrive à préserver de belles émotions dans son film (le désespoir d’Aldjéria lors de son retour dans l’appartement vide, son humiliation par le ministre), il ne sombre jamais dans le misérabilisme.

 

« Qui boit seul trinque avec le Diable »

 

La réussite du film tient également beaucoup à son quatuor d’acteurs, qui réalisent une prestation collective impeccable. A commencer par Biyouna, égérie de Moknèche et qui trouve ici un rôle à sa parfaite démesure, tout en exubérance. Rôle pour lequel elle semble visiblement avoir pris beaucoup de plaisir. Mais la révélation du film est Aylin Prandi. Pour son premier rôle sur grand écran, la belle italo-argentine, que l’on a déjà pu apercevoir à la télévision, crève l’écran d’un bout à l’autre, tant par son talent, tout en naturel, en fraîcheur et en justesse, que par son incendiaire beauté. Derrière ces deux rôles principaux, on rappellera les belles prestations de la très jolie Nadia Kaci et de Daniel Lundh. On notera également la courte mais savoureuse prestation de Abbes Zahmani dans le rôle du ministre.

Les Films du Losange

 

« La couronne de Caracalla était trop lourde pour ma petite tête »

 

Pour son troisième long métrage, Nadir Moknèche nous propose une jolie et sensible plongée dans la société algérienne actuelle, coincée quelque part entre traditions et modernité, entre crise économique et corruption. Construit à partir d’un scénario intelligent, laissant la place à des personnages très bien dessinés, ce « Délice Paloma » se savoure d’autant plus facilement qu’il bénéficie d’une interprétation de haut vol. Sans aucun doute, la bonne surprise de ce début d’été.



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F
J'ai trouvé ce film éblouissant également, Biyouna est magistrale, et cette face cahcée (par nos médias) de l'Algérie fait chaud au coeur, non pas pour le côté "scabreux" mais simplement par l"humanité qui s'en dégage.
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Le site sans prétention d'un cinéphile atteint de cinéphagie, qui rend compte autant que possible des films qu'il a vu!