Délice Paloma
« Aldjéria, cest mystérieux, ça plait à tout le monde : hommes, femmes, chiens, chats »
Chef de file des cinéastes algériens filmant la société algérienne de manière moderne et réaliste dans ce quelle a de paradoxale, Nadir Moknèche nous revient donc avec son troisième long métrage. Après « Le harem de Mme Osmane » en 2000, et « Viva Ladjérie » en 2004, voici donc le dernier venu « Délice Paloma ». Les portraits de la société algérienne dressés dans ses films sont toujours intéressants, car ils nous offrent une petite fenêtre pour voir un monde dont finalement nous ne savons pas grand chose. Entre le climat de guerre civile qui a pesé comme une chape de plomb sur le pays dans les années 90 et le début des années 2000, la crise économique, le poids des cultures et linfluence occidentale, ce genre de film permet entre autre de nous présenter une autre réalité. Porté par une bande-annonce qui, a coup dimages ensoleillées et de musique suaves avait su éveiller ma curiosité, ainsi quune critique presse globalement bonne, je me devais daller voir ce film. Résultats des courses.
« Jai des filles superbes, des bombes atomiques à faire rêver les iraniens !!! »
Lhistoire :
Mme Aldjéria sort de prison. Quest-ce qui a pu mener cette femme, ancienne « bienfaitrice nationale », fournissant moyennant finances toutes sortes de services, allant de lescort girl au permis de construire en passant par lélimination dun concourant commercial, à passer trois années derrière les barreaux ?
Pourtant, dans le contexte dune société corrompue, les affaires semblaient florissantes. Mais entre le souhait de racheter les thermes de Caracalla, prestigieux établissement de cure à labandon où travaillait sa mère et symbole dune volonté de renouveau et daccomplissement pour elle et son clan, et larrivée de sa dernière trouvaille, la superbe danseuse Paloma, qui attise désirs et jalousies autour delle, léquilibre qui semblait rendre lentreprise dynamique est plus que jamais précaire
« Les clients ont toujours raison, et les putains toujours tort »
Avant daller plus loin, je dois dores et déjà faire part de mon emballement vis-à-vis de ce film et dire quil sagit pour linstant dune des plus belles surprises de lannée. Moknèche nous invite à une plongée dans la vie algérienne, et plus particulièrement algéroise, pour dresser un tableau original de la société, probablement plus vrai que celui que les médias veulent bien nous dresser. La société y est partagée, entre poids des valeurs et de la religion dun côté, corruption et crise économique dun autre, et trafic, alcool et soirées de fêtes. Dans ce climat contradictoire, il dresse les portraits dune série de personnages savoureux, en premier lieu desquels Mme Aldjéria, sorte de parrain maffieux, exubérante, possessive et attachante, personnage fort et au caractère bien trempé qui sort des sentiers battus puisque cest une femme et quelle accepte de mener sa vie comme un homme le ferait. A ses côtés, il y a Shéhérazade, personnage à mon sens symbole de toute cette contradiction sociale, puisquon la découvre dabord en femme émancipée et battante, avant de la retrouver mariée et complètement voilée à la sortie de prison de lhéroïne. Reste enfin le beau Riyad, le fils dAldjéria, qui semble frêle et immature au milieu de ces femmes de caractères, et qui rêve de partir pour lItalie à la recherche dun père dont il ne sait rien, et la belle Paloma, ingénue à la beauté ensorcelante, qui va semé malgré elle la discorde au sein de ce clan.
Sur un scénario habile et intelligent, appuyé sur des personnages forts et particulièrement bien dessinés, Moknèche construit son film de manière originale, autour de ce que Hitchcock appelait un « McGuffin » (à savoir une intrigue principale dont le dénouement est totalement secondaire, qui ne sert quà promener le spectateur), à savoir un développement façon polar qui nous raconte les anciennes activités dAldjéria et les raisons de sa chute. Mais au fond, ce qui intéresse ici Moknèche, cest bien évidemment de nous faire un portrait réaliste de la société algérienne actuelle, où les combines sont reines, et où les traditions doivent cohabiter avec les murs occidentales. Moknèche filme ainsi de manière assez légère et avec beaucoup de chaleur ses personnages et les paysages. Ses images sont souvent lumineuses, joyeuses, et on y sent tout le recul du bonhomme lorsquil aborde les problèmes de la société. Ainsi, sil arrive à préserver de belles émotions dans son film (le désespoir dAldjéria lors de son retour dans lappartement vide, son humiliation par le ministre), il ne sombre jamais dans le misérabilisme.
« Qui boit seul trinque avec le Diable »
La réussite du film tient également beaucoup à son quatuor dacteurs, qui réalisent une prestation collective impeccable. A commencer par Biyouna, égérie de Moknèche et qui trouve ici un rôle à sa parfaite démesure, tout en exubérance. Rôle pour lequel elle semble visiblement avoir pris beaucoup de plaisir. Mais la révélation du film est Aylin Prandi. Pour son premier rôle sur grand écran, la belle italo-argentine, que lon a déjà pu apercevoir à la télévision, crève lécran dun bout à lautre, tant par son talent, tout en naturel, en fraîcheur et en justesse, que par son incendiaire beauté. Derrière ces deux rôles principaux, on rappellera les belles prestations de la très jolie Nadia Kaci et de Daniel Lundh. On notera également la courte mais savoureuse prestation de Abbes Zahmani dans le rôle du ministre.
« La couronne de Caracalla était trop lourde pour ma petite tête »
Pour son troisième long métrage, Nadir Moknèche nous propose une jolie et sensible plongée dans la société algérienne actuelle, coincée quelque part entre traditions et modernité, entre crise économique et corruption. Construit à partir dun scénario intelligent, laissant la place à des personnages très bien dessinés, ce « Délice Paloma » se savoure dautant plus facilement quil bénéficie dune interprétation de haut vol. Sans aucun doute, la bonne surprise de ce début dété.
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