Le rêve de Cassandre
« Que ça vous serve de leçon, dans la vie on ne peut compter que sur sa famille. Ne loubliez jamais »
Londres. Deux frères, Terry et Ian, achètent sur un coup de cur un petit voilier quils nomment « Le rêve de Cassandre ». Un véritable coup de folie puisque aucun des deux na à priori les moyens de soffrir un tel luxe. En effet, issus dun milieu relativement modeste, Terry travaille comme mécanicien dans un garage et Ian travaille dans le restaurant de son père, qui est loin dêtre pleinement rentable. Tous sen sont toujours à peu près sortis grâce à la générosité de leur oncle maternel, Howard, riche et célèbre homme daffaires, qui a fait fortune en Californie. Et lorsque ce dernier annonce une visite éclair à Londres, la nouvelle est dautant plus la bienvenue que Terry, joueur invétéré, vient de perdre une très grosse somme au poker, sannonçant les pires ennuis, et que Ian souhaite investir dans une affaire hôtelière qui lui ai proposée en Californie. Un argent dont il a dautant plus besoin quil mène le grand train pour épater sa nouvelle petite amie, Angela, une magnifique actrice de théâtre. Mais ils ne sattendaient pas à ce quen contrepartie de ce service financier, loncle Howard leur demande dassassiner un ancien cadre de son entreprise prêt à divulguer des informations très compromettantes sur lui à la justice
« - Jai rêvé de toi pendant deux nuits. Etre secourue est un de mes rêves pernicieux.
- Etre secourue na rien de pernicieux
- Non, cest ce que tu mas fait après »
Comme chaque année ou presque, à la même époque, nous avons droit à la production annuelle de Woody Allen. Le très prolifique cinéaste new-yorkais (pas moins de 18 films en 15 ans), semble cependant avoir du mal à se renouveler et surtout, à maintenir un niveau homogène de qualité pour ses films. Il nest pas outrancier de ce fait de dire que certains de ces derniers films, comme « Melinda et Melinda » (2005), « Anything else, la vie et rien dautre » (2003), ou encore « Escroc mais pas trop » (2000), ne sont pas des films majeurs dans la carrière du réalisateur. Un réalisateur qui aura néanmoins retrouvé les honneurs de la critique et du public avec le premier volet de sa trilogie londonienne, le surestimé « Match Point » (2005). Un succès auquel suivra le très léger et drôlissime « Scoop » (2006), et que viendra donc conclure ce « Rêve de Cassandre », seul volet au générique duquel ne figurera pas Scarlett Johansson. Cette trilogie devait être le départ de nouvelles aventures loin de New York et à travers des grandes villes européennes pour Allen, qui a renoncé à son projet parisien en raison de son coût, et dont la prochaine étape se situera en Espagne. « Le rêve de Cassandre » a été présenté en Sélection Officielle à la dernière Mostra de Venise.
« On ne bâtit pas ce que jai bâtit en respectant les règles. Vous ne doutiez pas de mon éthique quand vous aviez besoin de moi »
Titre annonciateur (référence au personnage mythologique de Cassandre, fille de Priam qui pouvait voir lavenir et lannoncer par des prophéties. Victime dune malédiction dApollon qui empêche les autres de la croire, elle annoncera en vain la chute dramatique de Troie), Allen prend inspiration ici dans la tragédie grecque. Décidément, il semble que son intrusion chez la Perfide Albion lui ai fait laisser à New York les thèmes plus légers et décalés de ses comédies traditionnelles au profit duvres beaucoup plus classiques, plus sombres, sinterrogeant sur la noirceur et la corruptibilité de lesprit humain. Ainsi, comme dans « Match Point », il met en scène des personnages de classes moyennes ou basses, sans argent et reconnaissance sociale, face au dilemme du meurtre rémunéré. Et Allen sen donne à cur joie pour pimenter et donner une dimension quasi faustienne à cet acte irrémédiable et irréversible, où se mêle habilement fable morale et importance du destin : commandité par le tonton riche qui subvient depuis toujours aux besoins des uns et des autres et qui joue la carte des liens du sang, nos deux héros finissent par rencontrer directement la future victime. De même, la première occasion planifiée pour supprimer ce dernier ne se déroule pas comme espéré et ils sont obligés de remettre le coup. Bref, à la difficulté de prendre ou non la décision de commettre lirréparable sajoute la difficulté technique de passer à lacte et enfin la difficulté à gérer et à vivre avec un crime sur la conscience. Et comme toujours, cest celui qui avait pourtant le côté brute épaisse qui sombre dans la dépression et le remord, alors que le plus discret et intelligent semble le vivre très bien, craignant même de devoir supprimer son propre frère devenu trop bavard. Rien de bien nouveau en somme sous la comète de Allen, ce « Rêve de Cassandre » semblant en effet sinspirer de loeuvre de Hitchcock et de films plus récents comme « Petits meurtres entre amis » (Boyle 1995). Certes, la réflexion morale sur la corruptibilité de lesprit humain, appuyé par un scénario classique et basique mais maîtrisé, donne une réelle épaisseur à ce film noir. Mais venant du grand Woody, on est quand même en droit dêtre un peu déçu de ce film qui ressemble beaucoup à son « Match point », et qui ne renouvelle ni le genre, ni son propre travail.
« Si on franchit la ligne, on ne pourra plus jamais revenir en arrière »
Car bien que le film soit maîtrisé et le scénario bien ciselé, on ne peut sempêcher de trouver le résultat trop classique pour un cinéaste qui nous avait justement habitué à imposer sa différence. En effet, même sil y apporte une certaine légèreté, Allen se borne ici à reprendre les codes traditionnels du film noir (enjeu dramatique, difficulté de choix, lutte des classes, destin rattrapant lacte immoral), mais sans grande réussite : la mise en scène est assez terne et sans rythme, et les rebondissements connus à lavance et sans aucune surprise. De là le film reste regardable sans déplaisir, mais on doit lui reconnaître une certaine banalité malvenue pour un tel réalisateur. Reste sa direction dacteurs, toujours de qualité. Si Tom Wilkinson, par ailleurs très bon, retrouve un rôle auquel il semble habitué, cest Colin Farrell qui surprend heureusement tout son monde dans ce rôle sensible et fragile quon ne lui connaissait pas. A linverse dun Ewan McGreggor décevant en héros trop propret, manipulateur et sans foi ni loi. Reste la jolie révélation Haylay Atwell, qui apporte son charme vénéneux à ce film, faisant planer lombre de létrangement absente Scarlett Johansson.
« Je ne suis plus le même et je ne le serais plus jamais »
Après « Match Point » et « Scoop », « Le rêve de Cassandre » vient donc clore la trilogie londonienne de Woody Allen. Episode ressemblant étrangement au premier, le film déçoit par son classicisme et par son manque doriginalité. Si le film se laisse voir et sil est honnêtement construit, on pourra en revanche le classer parmi les films mineurs de lauteur. En espérant quAllen sera plus inspiré par Madrid !
.
.
.
.
.
Commenter cet article