Le sergent noir
« Vous êtes la plus belle fille que jai jamais vu. Ne loubliez jamais. »
Arizona, 1881. Dans une petite ville de garnison où est stationnée un régiment de cavalerie composé de soldats noirs, une adolescente est retrouvée violée et assassinée, au même titre que son père, un des officiers blancs du régiment. Très vite, les soupçons reposent sur le sergent-chef Rutledge, soldat noir aux excellents états de service, mais qui est le dernier a avoir été vu prenant la fuite, blessé, sur les lieux du crime. Une fois repris, son procès commence. Défendu par son supérieur blanc, le lieutenant Cantrell, persuadé de son innocence, il doit néanmoins faire face à un procureur et une série de témoins particulièrement hostiles et racistes, voulant à tout prix la peau de Rutledge, coupable idéal à leurs yeux. Avec le seul témoignage de la gentille Mary Beecher à son avantage, cest un combat de longue haleine qui commence
« Lady, vous ne savez pas à quel point jessaie de rester en vie ! »
On ne présente plus John Ford, réalisateur exceptionnel ayant participé au légendaire âge dor Hollywoodien, dont il a largement contribué à écrire ses lettres de noblesse. Sa carrière de réalisateur sera ainsi profondément marquée par sa spécialisation au genre du western (on lui doit entre autres « La chevauchée fantastique » en 1939, « La poursuite infernale » en 1946, « Rio Grande » et « La charge héroïque » en 1950, « La prisonnière du désert » en 1956, et surtout « Lhomme qui tua Liberty Valence » en 1961). En dehors du western, Ford aura également signés quelques chef duvres et pas des moindres, comme « Les raisins de la colère » (1940), « Quelle était verte ma vallée » (1946), et lincontournable « Lhomme tranquille » en 1952. Son style moderne, désenchanté, et malgré tout profondément humaniste a ainsi marqué toute une époque. La reprise sur quelques écrans de son « Sergent noir », daté de 1960, était loccasion de découvrir une de ses uvres les moins connues.
« Nous avons servi ensemble. Je sais quil ny a pas meilleur soldat que vous. Je pensais pareil de lhomme »
Le principal intérêt du film réside dans son message qui sinscrit clairement contre le racisme ambiant et inhérent à lAmérique de cette époque. Bien évidemment, le sujet reste hélas toujours dactualité aujourdhui. Mais recadré dans son contexte historique de 1960, ce film fait office de bombe. En effet, lAmérique de la décennie 50-60 vit encore au rythme de la ségrégation raciale dans quelques états et des brimades dans les autres états, et voit en réaction à cela des mouvements pour les droits des afro-américains se renforcer et faire des grandes marches à travers le pays, notamment sous limpulsion de Martin Luther King. Dans ce contexte si passionné, ce « Sergent noir » prend clairement le parti de remettre lAmérique puritaine bien pensante (que Ford détestait profondément) face à ses contradictions et à sa propre conscience. En cela, ce film est une uvre forte qui atteint parfaitement son but. Pour le reste, on est également surpris par la forme de ce film, unique incursion à ma connaissance de Ford dans le film de procès. Celui-ci sarticule sur la forme de flash-back entre la salle du procès militaire et le récit des faits sous forme denquête mêlée de western. Bien évidemment, le tout reposant sur un scénario très solide, où lenquête policière se suit avec délectation au fil de ses nombreux rebondissements, et où une place de choix est réservée à lhumour qui vient toujours désamorcer les enjeux trop graves (voir le personnage du juge et celui de sa femme).
« - On est idiot de se battre pour les blancs
- On se bat pour notre fierté »
On reconnaîtra sans problème la patte du maître à la réalisation. Entre classicisme et effets efficaces (la lumière qui séteint sur la salle pour ne laisser que le témoin dans la lumière à chaque fois quun nouveau témoin vient à la barre par exemple), utilisation parfaite des grands espaces et direction impeccable des acteurs, Ford signe dans la forme un grand film. Dautant que linterprétation est de qualité (même si à priori, laffiche ne comporte pas de noms excessivement rutilants), sappuyant principalement sur le duo Woody Strode / Jeffrey Hunter. Woody Strode impose ainsi sa carrure de géant, musculeuse et sèche, jouant jusquà la fin de son allure droite et altière pour défendre jusquau bout sa fierté dHomme. En cela, sa composition incroyable est dune force grave et contenue, parfaitement mise en valeur par Ford. A ses côtés, Jeffrey Hunter (que Ford avait déjà fait tourné dans « La prisonnière du désert ») livre une prestation toute aussi forte et impeccable. Ce dernier, que ses détracteurs auront pris un malin plaisir à tailler en évoquant ses « capacités limités dacteurs », rappelle ici quil aura été un des jeunes premiers Hollywoodiens les plus beaux et les plus talentueux de sa génération (avec Montgomery Clift), mais aussi un des plus mal utilisés.
« Je ne suis pas un esclave, vous mentendez !!! Je suis un homme !!! »
uvre beaucoup plus politique et intelligente quelle ny paraît, « Le sergent noir » brille ainsi par son sujet grave et par la modernité de ses prises de positions. Porté par une mise en scène plus soignée quinventive, le film jouit surtout dun scénario écrit avec une grande subtilité et une belle précision, flirtant entre film politique, film de procès, polar et western. Peut-être pas le meilleur film de Ford, mais un grand film quand même.
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