Le serpent
« Le type avec qui jai eu laccident, je ne lavais pas vu depuis 25 ans »
Voilà sept ans quon attendait le nouveau film dEric Barbier, réalisateur maudit de notre cinéma national. En effet, de la génération des cinéastes prometteurs lancés au début des années 90, avec entre autres Eric Rochant et Arnaud Depléchin, Eric Barbier a toujours eu des rêves de grandeur. Comme le prouve son premier long, « Le Brasier » (1991), grande fresque historique et ambitieuse sur la vie dans les mines, au budget colossal (surtout pour un premier film) et qui a été un véritable gouffre financier, dont sa carrière aura forcément pâti. Il aura fallu attendre 1999 pour le voir revenir aux commandes dun deuxième film, « Toreros ». Il signe avec « Le Serpent » son troisième long métrage seulement en plus de quinze ans de carrière.
« Le Serpent » est une libre adaptation du roman « Plender » de Ted Lewis, paru en 1971. Ted Lewis est un auteur de romans policiers particulièrement noirs et très célèbre en Grande-Bretagne mais quelque peu méconnu chez nous. Ce roman est construit dune manière assez atypique puisquil alterne à chaque chapitre les points de vue des deux personnages centraux.
« Aux retrouvailles des anciens du collèges ! »
Lhistoire :
Vincent Mendel est photographe de mode, quelque part dans une province austère. Il a une vie aisée, essentiellement grâce à son beau-père, notable de la région. Son train de vie en apparence facile nest quune image, son mariage bat de laile, et il est en pleine procédure de divorce. Joseph Plender quant à lui est un ancien légionnaire, officiellement détective privé, et plus concrètement maître chanteur professionnel, qui monte des combines en poussant des filles dans le lit des notables du coin et en les faisant chanter avec des preuves de leur infidélité.
Anciens camarades de collège, ils ne sétaient plus revus depuis lors, et nauraient jamais du se revoir. Un soir, Vincent photographie une mannequin de lingerie et la séance laisse vite sa place à lexpression des désirs les plus charnels. Seulement, quelquun a drogué Vincent, et dans ses gestes lourds, il bouscule la fille qui passe par dessus la rambarde de lescalier. Pris de panique celui-ci tente de camoufler la scène du drame et met le cadavre dans son coffre. Jusquà ce quil se fasse rentrer dedans, sur la route, par Plender. Un Plender ravi de le revoir et qui simmisce peu à peu dans la vie de son ancien camarade au point de prendre les devants et dembarquer pendant la nuit la voiture de Vincent pour la faire réparer. Au matin, le retour de la voiture sans cadavre semble annoncer le début dun jeu malsain
« Il faut que je sorte de ce cauchemar »
En sattelant à ce projet, lami Barbier sest lancé un véritable défi, tant les vrais films de genre policier/film noir sont rares chez nous. Et bien souvent quand un projet parvient jusquà son terme, il est en général de qualité assez moyenne. Pour un retour après sept années dabsence et une carrière en dents de scie, on peut dire que Eric Barbier na pas choisit la facilité. Cela dit, dès les premières minutes, on se laisse prendre dans ce film très sombre et très froid, et on remarque que ce film a plus les caractéristiques dun film américain que français. Car Barbier reprend les codes du genre tout en imposant sa propre griffe. Tout concorde ainsi pour rendre latmosphère de ce film très froide, très impersonnelle et très flippante : le choix des décors, très austères, la maison moderne de Vincent est dailleurs à ce titre des plus froide, léclairage est très pâle, les visages apparaissant comme blafards. Lessentiel du film se passe également de nuit. Chaque apparition de Plender prenant du coup un caractère particulièrement angoissant. De même, la montée en puissance du personnage de Plender qui apparaît de plus en plus souvent au fur et à mesure que le film avance, en sortant parfois de là où on ne lattendais pas, renforce une certaine sensation doppression.
Mais ce qui est très fort dans ce film, cest que Barbier réussit à fouiller la personnalité de ces personnages. Le scénario prend un soin méticuleux à nous montrer les cheminements mentaux des deux protagonistes ainsi que leur passé. Et cela permet davoir de vrais personnages complexes, loin de la caricature, avec une folie dautant plus inquiétante. Si on se doute bien vite que les rapports entre les deux hommes sont beaucoup moins lisses quils ne laissent le croire, Barbier distille les informations relatives à leur passé et à leurs motivations avec parcimonie et subtilité, laissant la place à ce jeu de manipulations, où chacun espère tenir lautre. En outre, la scène où Plender sinvite à dîner chez Vincent et raconte comment ce dernier et sa bande le maltraitaient durant ladolescence est particulièrement jouissive et flippante, tout comme le regard sadique de Cornillac qui manipule avec un plaisir malsain Vincent devant sa femme.
« Tu te trompes quant à la nature de ton vrai problème »
Atmosphère glaciale, choix visuels très pertinents, direction dacteurs impeccable, scénario fouillé et personnages bien construits, le film de Barbier est une grande réussite. Même si on pourra noter quelques petits défauts, comme cette scène dévasion par léchafaudage, qui devait amener un peu daction et de spectaculaire, et qui pour le coup sent non seulement le réchauffé, mais en plus ternis un peu le parti pris du film de ne pas jouer dans la surenchère mais dans lépure et la sobriété. Malgré cela, une certaine forme de tension plane au-dessus du film, qui tient en haleine le spectateur sans fausse note jusquà la fin.
Si les choix du réalisateurs sont très probants, on doit aussi reconnaître la très grande performance des comédiens, en particulier du tandem Yvan Attal - Clovis Cornillac. Ce duo semblait quelque peu inédit, mais il savère très cohérent. Dautant que dans des genres très différents, il a le mérite de réunir deux des comédiens français les plus doués et les plus intéressants de leur génération. Les deux acteurs font preuve dun naturel incroyable, Attal étant parfait en sorte de mort vivant abasourdi et incapable de réagir, alors que Cornillac glace le dos des spectateurs deffroi tant son numéro de psychopathe, dun sadisme et dune violence inouïs derrière des apparences très sociables et bien propre sur lui, est réussit.
Derrière, les seconds rôles assurent vraiment, avec une mention particulière pour Pierre Richard, parfait dans un rôle pleinement à contre-emploi, et pour Simon Abkarian.
« Tu ne peux pas gagner contre moi »
Pour résumer, Eric Barbier, pour son troisième film, réalise un joli coup en mettant en scène avec beaucoup dintelligence et de réussite un film de genre peu habituel dans les productions françaises actuelles. Avec un scénario parfaitement construit, des choix visuels très pertinents, et des acteurs formidables, il arrive à faire un thriller plus quhonnête, distillant savamment tensions, violence et climat oppressant, et qui capte parfaitement lattention du spectateur du début à la fin. On regrettera peut-être une vision trop manichéenne des personnages, puisque finalement devant la folie affichée de Plender, lempathie du spectateur va logiquement à Vincent, alors que le livre est justement construit de manière à ne pas en trouver un plus « propre » que lautre. Mais ce nest quun détail. Une vraie réussite en tous cas.
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