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17 Jun

Je suis un aventurier

Publié par platinoch  - Catégories :  #Westerns

« -    Vous m’avez sauvé. Que puis-je faire en échange ?

-         Dire merci

-         Je ne sais pas du tout ce que ce mot veut dire »

1896. Jeff Webster, un aventurier taciturne et individualiste, arrive tout juste à temps avec son bétail pour embarquer sur le bateau où l’attend Ben, son associé et ami, à destination de Skagway, Alaska. Injustement accusé de meurtre juste avant que le bateau ne lève l’ancre, il ne doit son salut qu’à Rhonda Castle, une riche entrepreneuse locale qui le cache dans sa cabine. Mais son geste n’est pas désintéressé. En effet, une fois arrivés à Skagway, Jeff est arrêté là encore par le shérif local, l’autoritaire et très corrompu Gannon, qui en profite pour mettre la main sur son bétail. Acquitté mais ruinés, Jeff et Ben souhaitent donc rejoindre le Klondike voisin où la ruée vers l’or bat son plein afin de se refaire. Mais n’ayant plus les moyens d’entreprendre un tel voyage, ils n’ont d’autre choix que d’accepter l’offre de Rhonda qui les embauche comme chefs de piste pour son convoi. Malheureusement, contrairement à ce qu’ils attendaient, la ville minière de Dawson est en proie à une vague de violence…

.

« -    Ben m’a dit que vous n’aimiez personne

-         Pourquoi le devrais-je ?

-         Parce que si vous n’aimez personne, personne ne vous aimera, et vous finirez tout seul, comme ce loup qui hurle

-         Peut-être aime-t-il sa solitude »

« Je suis un aventurier » est un western réalisé en 1954 par Anthony Mann. Connu pour ses films noirs (« Le grand attentat » - 1951) et ses péplums (« Quo Vadis » en 1951, « La chute de l’empire romain » en 1964), Mann sera avant tout un réalisateur majeur du genre du western, dont il contribua à imposer les codes aux côtés des Ford, Huston, Hawks, ou encore De Toth. On lui doit ainsi quelques films majeurs du genre, tels que « Winchester 73 » (1951), « Les affameurs » (1952), ou encore « L’homme de l’ouest » (1958), avec Gary Cooper. Considéré par beaucoup de cinéphiles comme étant l’un des plus beaux westerns de l’Histoire, « Je suis un aventurier » est le quatrième des cinq westerns dans lesquels Mann dirigera James Stewart (« Winchester 73 », « Les affameurs », « L’appât », « L’homme de la plaine »).

« On a beaucoup d’argent à dépenser, mais que pourra-t-on acheter de plus que ce que l’on a ici ? On a des amis, et ça ça n’a pas de prix »

Film singulier et profondément mélancolique, « Je suis un aventurier » est un western à part parmi la production hollywoodienne des années 50. En effet, en centrant son film sur un héros des plus ambigus et sur son évolution morale, Mann se démarque des vieux schémas traditionnels et manichéens imposés par Ford et Houston (entre autres), limitant souvent les westerns à une confrontation entre un juste et des méchants. Mais d’entrée, le personnage de Jeff Webster se démarque totalement des westerns grands publics de l’époque : autoritaire, ambigu (l’homme qui n’accorde pas une grande importance à la vie a déjà tué plusieurs personnes pour diverses raisons pas toujours très justifiables), mégalo et profondément individualiste – pour ne pas dire égoïste – ce dernier n’a rien du justicier droit sans peur et sans reproche qu’incarnaient de manière récurrente les John Wayne et autres Randolph Scott. Pire, ce dur à cuire refusant l’autorité et le jeu social, représente déjà – en 1898 – une espèce en voie d’extinction. S’il n’éprouve que peu d’intérêt pour ses semblables et leurs problèmes (il n’y a qu’à voir sa réaction lors de l’avalanche dans laquelle est prise Rhonda), à l’exception toutefois de son vieil ami Ben, sorte de figure tutélaire et paternelle, Mann va s’efforcer tout au long de son film à nous montrer l’ouverture de Ben sur les autres et sa prise de responsabilités. Un petit peu à la manière du Shane de « L’homme des vallées perdues », Jeff se décidera finalement à réagir tant pour venger l’assassinat de Ben que pour rendre son honneur à la communauté des mineurs bafoués. En outre, Mann réussit un tour de force avec son scénario, celui-ci étant parfaitement proportionné. En effet, s’il recèle une indéniable profondeur (peu commune il est vrai dans les westerns de la décennie 45-55), il n’en oublie jamais de laisser une large place à l’action, ainsi qu’à quelques moments émouvants (dus principalement au personnage de Ben et à sa relation attachante avec Jeff). Une sortie du cadre des valeurs imposées du genre du western qui se traduit aussi dans les décors, puisque Mann situe son récit loin des étendues de l’ouest sauvage pour le placer dans les régions gelées septentrionales, jusque là peu en vogue.

« Risquer de ce faire tuer quand on est pas obligé, c’est ridicule » 

 

Sur la forme, il est clair que Mann maitrise totalement son sujet. Sans gras, sans le moindre plan inutile, le réalisateur fait preuve d’une parfaite efficacité dans son montage. A ce titre, le film ne dure qu’une heure et demie durant laquelle il n’y a pas la moindre baisse de régime. Par ailleurs, le film est visuellement magnifique et impressionnant par la grande diversité de ses décors : bords de mer, plaines et vallées herbagées, montagne rocheuse et passages enneigés, autant de paysages grandioses formidablement mis en valeur par le Cinémascope et le Technicolor. Seul petit bémol peut-être, côté comédiens, l’interprétation de James Stewart. N’étant pas spécialement fan du comédien (bien qu’étant « L’homme qui tua Liberty Valance » mon western préféré), on ne peut que déplorer ici l’aspect un peu répétitif et monolithique de son interprétation. Il en va de même pour Corinne Calvet, qui souffre pour sa part d’un rôle un peu caricatural de jeune fille à la fois têtue et ingénue. Finalement, si Ruth Roman est très convaincante dans son rôle de femme affirmée et ambiguë (on ne sait pas exactement à quelle point elle trahit Jeff et Ben), c’est bel et bien Walter Brennan et John McIntire qui crèvent l’écran. Le premier, dans son habituel rôle de petit vieux boudeur et attachant, est à l’origine de tous les moments émouvants du film. Rien que ça. Quant à McIntire, il impose une extraordinaire composition de méchant charismatique, rendant la justice sur une table de poker ou assassinant en souriant, qui rivalise avec ceux qui ont le plus marqués le genre (Palance dans « L’homme des vallées perdues », Fonda dans « Il était une fois dans l’ouest », ou encore Marvin dans « L’homme qui tua Liberty Valance »). S’il n’est peut-être pas – à mon sens – le plus grand western de l’Histoire, « Je suis un aventurier », film grave et crépusculaire, n’en est pas moins un très bon film à (re)découvrir.



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