Tout ce que le ciel permet
« On dit que cet arbre pousse là où il y a de lamour »
Veuve d'âge mûr, Carey Scott mène une vie terne et sans histoire dans une petite localité de Nouvelle-Angleterre, se consacrant au bonheur de ses deux enfants Ned et Kay, qui viennent d'entrer à l'Université.
Son entourage voudrait la voir se remarier avec Harvey, un riche célibataire dâge mûr. Mais Carey rêve encore d'un grand amour.
C'est dans cette disposition d'esprit qu'elle rencontre Ron Kirby, le séduisant pépiniériste - de quinze ans plus jeune qu'elle - engagé par ses soins pour s'occuper de son jardin...
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« Passé un certain âge, le sexe devient incongru »
Spécialiste du mélodrame hollywoodien en Technicolor, luvre du prolifique Douglas Sirk aura été longtemps et injustement méprisée par ses contemporains. Jugés trop mièvres, ses films auront été ainsi rudement critiqués, en dépit du grand succès public que connurent certains dentre eux, tels que « Le secret magnifique » (1954), « Ecrit sur du vent » et « Les ailes de lespérance » (1956), « La ronde de laube » (1958) ou encore « Mirage de la vie » (1959). Fort du succès inattendu du « Secret magnifique », les studios Universal encouragèrent vivement Sirk à reconduire le duo Jane Wymen/Rock Hudson dans un nouveau film. Ce sera donc « Tout ce que le ciel permet » qui sortira deux ans plus tard, en 1956. Comble de lironie, le film, brocardé lors de sa sortie par une partie de la critique, fut élu en 1995 pour rejoindre la collection de films de la bibliothèque du Congrès Américain. A noter que « Tout ce que le ciel permet » a fait lobjet de deux remakes officieux : « Tous les autres sappellent Ali » de Fassbinder (1974) et « Loin du paradis » de Todd Haynes (2002).
« Je mexcuse pour ce que je vous ai dit. Mais pas de vous désirer. »
Même si on y retrouve tous les éléments inhérents au genre (amants antagonistes, histoire damour impossible, puissance et noblesse des sentiments), il serait réducteur de considérer « Tout ce que le ciel permet » comme un simple mélo de plus. Car à la différence de nombre de ses confrères (on pense inexorablement à Henry King et à son insipide « Colline de ladieu » qui connut un grand succès populaire lannée précédente), Sirk nous évite ici la banalité dune romance complaisante. Peu importe les normes imposées aux films du genre par Hollywood, ce qui intéresse le réalisateur est ailleurs. Faisant fi des codes, sa construction narrative ne laisse de fait aucune place aux figures imposées. Ainsi, pas question pour lui de sappesantir sur la rencontre entre les deux protagonistes principaux ni sur le jeu de séduction déployé pour permettre leur union. A la manière des grands drames shakespeariens, il se recentre au contraire sur la partie qui lui parait la plus importante : limpossibilité de leur amour. Le film peut alors prendre toute son ampleur. Car au fond, ce drame de salon, si moelleux en apparence, nest quun prétexte au réalisateur pour se lancer dans une intense et violente critique sociale. Fustigeant tour à tour le puritanisme (la différente dâge entre les amants est considérée par tous comme étant « indécente »), lhypocrisie (derrière les sourires de façade et le vernis moraliste de la bonne société bourgeoise, tous se jugent et se critiquent violemment), lintolérance et le racisme (tous réprouvent quune bourgeoise puisse avoir une liaison avec un homme issu dune condition sociale plus basse que la sienne) de la société américaine, Sirk donne ainsi à son film une toute autre dimension, à la fois plus profonde et plus violente. Car au fond, en sattaquant aux fondements de lamerican way of life, il ne fait ni plus ni moins que remettre en question ce modèle de société idéale si chère à lAmérique des 50s. Comme quoi il ne faut pas se fier aux apparences. Car derrière une esthétique magnifiée (sublime photographie Technicolor aux couleurs chaudes et irréelles) et linterprétation impeccable de Jane Wymen et Rock Hudson, qui lui donneraient de prime abord un côté mielleux et sucré, Douglas Sirk signe peut-être avec « Tout ce qui le ciel permet » son film le plus critique et le plus violent. Un film référence, puisquil ouvrira la voix à de nombreux réalisateurs, tels que Richard Brooks avec son « Doux oiseaux de jeunesse » (1962) ou Hal Ashby avec « Harold et Maude » (1971).
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