Le vieux jardin
« Toi dedans, moi dehors, des fois cétait pénible »
On connaissait le talent du réalisateur Im Sang-Soo . Parmi ses précédents films, « une femme coréenne » avait été salué par lensemble de la presse. Ce « Vieux jardin » vient dailleurs sinscrire logiquement à la suite de son dernier film en date « The presidents last bang », évoquant lassassinat du dictateur sud-coréen Park Chung-Hee en 1979. Lhistoire se situe en effet dans les mois qui suivent cet assassinat et nous font plonger dans lunivers du héros, Hyun-Woo, jeune étudiant militant socialiste pendant le soulèvement étudiant de Kwangju. Ce dernier, recherché comme tant dautres activistes, trouve refuge quelques mois durant chez une jeune activiste de province, avec laquelle il vit une folle passion. Mais, tiraillé par sa volonté de rejoindre ses camarades et la lutte, il retourne en ville et se fait prendre. A sa sortie de prison, 17 ans plus tard, la société coréenne a évolué en un monde quil ne reconnaît plus et qui ne le reconnaît plus. Et surtout, Yoon-Hee, la femme quil a aimé pendant sa cavale, est morte trois ans plus tôt. Il tente donc de refaire le lien entre passé et présent, regrets et remords, avec le journal de bord que lui a laissée Yoon-Hee.
« Lair est trempé par le vent qui souffle, je tappelle « Pluie de Printemps » »
Pour son cinquième long-métrage, Im Sang-Soo choisit donc ladaptation du roman homonyme de Hwang Sok-Yong, véritable best-seller au pays du matin calme, mêlant histoire, politique, et romance. Et autant dire quil était particulièrement attendu au tournant. Hwang Sok-Yong est un des auteurs les plus connus et lus de Corée du Sud, un des rares auteurs coréens à être reconnu dans les monde entier. Son engagement lui a valu, à linstar de son héros, de faire un peu de prison. Son expérience personnelle se ressent dailleurs dans la précision historique des faits et dans le ressenti du héros, aussi bien de son enfermement, que de sa frustration politique.
« Tu sais comment on sait si on est encore un enfant ou un adulte ? Si on aime les nouilles Jiajiang, on est encore un enfant »
La force de ce récit réside dans la puissance et labondance des grands sentiments. Tantôt extrêmement amoureux, tantôt prêt à mourir pour la cause, Hyun-Woo ne vit pas les choses à moitié. Lui, le beau rebelle, découvre lamour lors de sa cavale, au milieu de paysages naturels grandioses, et sapprête sans le savoir à passer 17 ans, ses jeunes et plus belles années, en prison. Il a jusquà sa capture, toujours le choix en main pour décider comment mener sa vie, et la perd en quelque sorte, par lintransigeance de sa jeunesse, qui le pousse irrémédiablement à prendre les mauvaises décisions.
De lautre côté, Yoon-Hee, dabord icône de la féminité par excellence, se révèle être un magnifique portrait de femme forte, amoureuse et battante jusquau bout, essayant de protéger tous ceux qui lentoure et qui sont toujours sur le fil.
Par ces deux personnages très forts, Im Sang-Soo nous dresse un bel hommage à la jeunesse, à sa révolte, à ses excès, mais aussi au fait quaprès avoir toujours mené les combats, cest toujours la jeunesse qui paye le prix fort, en se voyant systématiquement sacrifiée.
De même, tout en prenant clairement position en faveur de ces étudiants qui se révoltent contre le régime en place pour plus de libertés, il nen porte pas moins un regard des plus réalistes et critiques sur la société coréenne actuelle. Si le gardien de prison dit bien au héros en le relâchant « le monde est devenu meilleur paraît-il. Si cest le cas, tu y es sûrement pour quelque chose », au fond, on se rend bien compte que Hyun-Woo ne se retrouve pas dans ce monde qui a tant muté pendant ses années demprisonnement, et que ce même monde semble lavoir oublié et nêtre plus fait pour les gens comme lui (ce dernier ne trouve plus sa place dans la société actuelle). A demi-mot, il sous-entend presque que si des gens Hyun-Woo se sont battus pour plus de libertés, la société à dérivée à lextrême. Et par là, il rend un deuxième hommage, lourd de sens à mon avis, à la pureté de la jeunesse et à ses illusions perdues. Car de voir quaujourdhui, ce que la société a gagné en libertés, elle les perd dans les excès de consumérisme et de productivisme, Hyun-Woo, de par ses attitudes, semble se poser des questions pour savoir si finalement, ce résultat méritait vraiment de sacrifier ses 17 plus belles
années.
« Je te cache, je théberge, je te nourris, je te donne mon corps, et toi tu pars ? Bon vent, imbécile ! »
Les plus vives critiques de la presse concernant ce film se font principalement sur le fait que le scénario tombe parfois dans le mélo. Or, je trouve que cest la grande force du film que darriver à faire un film à la fois politique et historique, mais aussi tout simplement humain. Cette histoire damour passionnée et cruelle renforce au contraire le sacrifice de cette jeunesse, incarnée par le beau Hyun-Woo. Car ne nous le cachons pas, le film prend une dimension humaine magnifiée par le romantisme de lhistoire, par le sacrifice, par le sort qui joue contre lamour des héros (elle lattend tout au long de sa peine et meurt avant sa sortie de prison), par ce qui aurait pu être et na pas été, par cet amour qui ne sera jamais vécu haut et fort comme il aurait du lêtre.
En ce sens, Im Sang-Soo réalise des scènes bouleversantes, telles que cette larme qui coule sans pouvoir être réprimée sur le visage vieilli de Hyun-Woo lors de son premier repas en famille et peu de temps après avoir appris la mort de sa bien-aimée. De même que le suicide de la meilleure amie de Yoon-Hee, qui simmole par le feu en signe de contestation désespérée.Et puis il y a tous les récits du journal de bord que Yoon-Hee a écrit pour Hyun-Woo, et qui relate sa vie sans lui, ses espoirs et ses coups de cafard, et surtout ses rêves simples dêtre auprès de lui et de vivre une vie de couple et de famille normale à ses côtés.
« Même si tu nas été pour moi quune image toutes ces années, maintenant que je fais face à la mort, je me rends compte que tu auras été lamour de ma vie. Mon chéri, je taime »
Im Sang-Soo na pas choisit la facilité pour la forme de son film. En effet, celui-ci est construit en dincessants flash-backs mêlant habilement présent et passé. Le petit reproche que je pourrais faire serait quil perd quelquefois son spectateur dans cette question de temporalité. Mais son grand talent et son travail permettent dans lensemble une assez bonne fluidité dans ce domaine. Le choix des interprètes savérant une nouvelle fois extrêmement juste et judicieux. En particulier, Jin-Hee Ji et Yul Jung-Ah, qui excellent par leur intériorité, sachant parfaitement exploiter le force émotionnelle des dialogues, autant que celle des non-dits et des silences. Et ce jusquau final, quasi muet, et dune rare poésie avec la silhouette longiligne de lhéroïne qui plane sur la première rencontre entre Hyun-Woo et de sa fille dont il vient de découvrir lexistence.
Au final, le nouveau Im Sang-Soo comble parfaitement les attentes quon pouvait en avoir. Il signe là un film fort, poignant, politique, nostalgique et surtout dune grande poésie. Probablement le plus beau film sur les écrans depuis le début de lannée. Un vrai petit bijou.
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