Bad boy Bubby
Un grand merci à Blaq Out pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le dvd du film « Bad boy Bubby » de Rolf De Heer.
« Bubby ? Un nom stupide pour un garçon stupide ! »
Séquestré depuis sa naissance par sa mère, Bubby ignore tout du monde extérieur qu’il croit empoisonné. L’arrivée de son père, dont il était tenu éloigné, va bouleverser sa vie.
Le jour de ses 35 ans, Bubby va enfin sortir. Il découvre un monde à la fois étrange, terrible et merveilleux où il y a des gens, de la pizza, de la musique et des arbres…
« Jésus voit tout ce que je fais et il va me massacrer ! »
Quasi inexistant pendant de nombreuses décennies, le cinéma australien prend son réel essor à partir des années 70, sous l’impulsion d’une poignée de réalisateurs, spécialisés dans le fantastique et l’épouvante. Des films comme « Wake in fright » (Ted Kotcheff, 1971), « Walkabout » (Nicolas Roeg, 1971), « Pique-nique à Hanging Rock » et « La dernière vague » (Peter Weir, 1975 et 1977) et surtout « Mad Max » (George Miller, 1979), connaissent ainsi le succès à l’international. Moins en vue durant les années 80 - à l’exception notable des films de Peter Weir (« Gallipoli », « L’année de tous les dangers ») et du succès planétaire de « Crocodile Dundee » (Peter Fairman, 1986) - il faut attendre les années 90 pour retrouver un cinéma australien dynamique, innovant, mordant, osant aborder de front des sujets complexes. On pense ainsi à des films chocs comme « Romper Stromper » (Geoffrey White, 1992), cruels comme « Muriel » (P. J. Hogan, 1993) ou encore acides comme « Priscilla folle du désert » (Stephen Elliott, 1994). Australien d’adoption (il est né néerlandais dans les colonies hollandaises indonésiennes), le réalisateur Rolf de Heer connait brièvement le succès en 1984 avec son premier film, « Sur les ailes du tigre ». Avant d’enchainer avec une traversée du désert de près de dix ans, ponctuée d’échecs publics et critiques. En 1993, il réalise pour un budget modique « Bad boy Bubby », film à la limite de l’expérimental, sur le scénario duquel il travaille depuis près de dix ans. Présenté à la Mostra de Venise, il repartira couronné du Grand Prix du Jury. Objet de curiosité devenu rare (il n’avait jusqu’ici jamais été édité en dvd chez nous) et vanté par de nombreux grands réalisateurs (Tarantino notamment), le film a ainsi acquis au fil des années un statut de film culte.
« Maman a raison. Bubby pas fait pour l’extérieur. »
Dès son introduction - un trentenaire hirsute tenu enfermé dans un taudis coupé du monde et infantilisé par une mère autoritaire et incestueuse - Rolf de Heer donne le ton de son film : bizarre et dérangeant. Une sorte de « Affreux, sales et méchants » au pays des Wallabies, à la limite de l’expérimental. Et puis, l’innocent Bubby, sorte de créature naïve et vierge de toute civilisation, finit par se libérer de ses chaines et part à la découverte d’un monde qu’il ne connait pas : le nôtre. Sans vraiment comprendre le monde qui l’entoure - et qui se montre d’emblée hostile à son égard - Bubby s’adapte à sa façon, en reproduisant les mots, les expressions, les attitudes et les gestes des gens qu’il croise, s’attirant le plus souvent leur foudre. Bubby agissant malgré lui comme un miroir déformant qui mettrait en évidence les travers et la bêtise de chacun. On l’aura compris, « Bad boy Bubby » est un film profondément acide, une charge corrosive contre la société occidentale en général et sur la violence des rapports qui y prévaut entre les êtres. Une violence qui se traduit par le rejet systématique des êtres différents, marginaux ou handicapés, le tout sous le regard hypocrite d’une religion sert de prétexte à toutes les cruautés. Etrange d’un bout à l’autre, le film réserve néanmoins quelques moments savoureux (Bubby qui découvre la pizza, le cunnilingus, le rock ou encore sa passion pour les fortes poitrines), qui viennent contrebalancer des scènes plus graves, beaucoup plus violentes, mais toujours traitées avec une certaine réjouissance (Bubby qui tue ses ennemis avec du film alimentaire, le viol en prison au son des cornemuses). D’une certaine manière, De Heer nous rappelle que l’Homme ne nait pas mauvais mais qu’il le devient par mimétisme, pour survivre dans un monde violent. Sorte de jumeau maléfique de « Forrest Gump » qui sortira quelques mois plus tard, « Bad boy Bubby » est un film puissant, étonnamment subversif et clairement anticlérical autant qu’antireligieux. La rédemption ne se trouvant pas dans l’amour d’une religion qui encourage les massacres mais dans l’amour des hommes (en l’occurrence d’une femme, au nom prédestiné de Angel, elle-même rejetée par la société) et dans la liberté créative (ici, c’est le rock qui est un exutoire). Le film vaut également pour la prestation hallucinante de Nicholas Hope, étrange sosie de Jack Nicholson version « Vol au-dessus d’un nid de coucou », ainsi que pour sa prouesse technique : De Heer a eu recours à pas moins de 32 directeurs de la photographie ainsi qu’à des microphones binauraux pour immerger son spectateur et rendre au mieux l’expérience de Bubby découvrant le monde extérieur. Un film étrange et savoureux, mais qui se mérite.
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Le dvd : Présenté en version originale anglaise (5.1 et 2.0), le film est accompagné de sous-titres optionnels français. Côté bonus, le dvd propos un entretien avec le réalisateur Rolf de Heer (20’) et surtout « Confessor, Caressor », un court métrage de Tim Nicholls avec Nicholas Hope, l’acteur vedette de Bad Boy Bubby (1989, 20’). Est également proposée la piste stéréo binaurale pour casque audio : le film dans la tête du Bubby.
Edité par Blaq Out, « Bad boy Bubby » est disponible en dvd et en blu-ray depuis le 3 juin 2016.
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