En bonne compagnie
« Ne dîtes pas de mal des dinosaures. Ils ont régné sur Terre pendant des millions dannées. Ils ne devaient pas être si nuls »
New York. Dan Foreman a une vie bien rangée et bien installée : il a 51 ans, occupe depuis des années le poste de directeur des ventes publicitaires dun des plus grands journaux de sports du pays, et a une famille soudée, autour de sa femme et leurs deux filles. Mais la vie peut réserver des surprises, et Dan voit son équilibre quelque peu chamboulé à cause dune succession dévènements imprévus. Ainsi, sa femme se découvre une grossesse inattendue, sa fille aînée obtient une place à la fac de New York synonyme dinstallation au centre ville, et surtout le journal pour lequel il travaille est racheté par la holding de Teddy K., mania de la finance internationale. Suite au rachat de son entreprise, Dan se voit rétrograder, son poste revenant désormais à un ponte de la nouvelle entreprise propriétaire, Carter Duryea. Ce dernier pourrait être le fils de Dan et na aucune expérience en la matière. Fort logiquement, le courant ne passe pas entre les deux hommes qui se méfient lun de lautre. Et la relation naissante entre Carter et Alex, la fille aînée de Dan, nest pas pour arranger les choses
« Je commence un nouveau job aujourdhui. Je suis mort de trouille et je me demande ce que je viens faire là. Vous ne le direz à personne, nest-ce pas ? »
La carrière du réalisateur et scénariste Paul Weitz se caractérise par des choix quon pourrait qualifier dassez hétéroclites. En effet, celui qui avait commencé avec le très drôle et très potache « American pie » (1999), aura su depuis surprendre son monde en réalisant des films beaucoup plus fins et beaucoup plus émouvants quils ny paraissent. En outre, derrière leur aspect « gentille comédie un peu foutraque », ses films délivrent souvent un message assez critique et cynique à lencontre de la société occidentale et américaine. De sa filmographie, on se souviendra ainsi de « Pour un garçon » (2002), ou du très acide « American dreamz » (2006). « En bonne compagnie », sa quatrième et jusquici avant dernière réalisation en date, était sorti en 2004, dans une certaine indifférence médiatique, malgré son casting prestigieux.
« - Pourquoi dites-vous « prendre la porte » et non pas « virer » ?
- Parce que ça sonne mieux, jimagine
- Pas pour celui qui se fait virer. »
Le pitch de ce « En bonne compagnie » ne semblait pas dune originalité à toute épreuve et surtout laissait présager la petite comédie sentimentale sans saveur de plus. Et pourtant, il nen est rien. Weitz surprend tout son monde en se servant dune trame de comédie romantique des plus ordinaires pour réaliser un film beaucoup plus profond et original sur les dérives de la société économique occidentale. En cela son scénario est dune justesse inouïe, prouvant la finesse du sens de lobservation de Weitz et révélant, une fois nest pas coutume, son humanisme et son regard plus que critique sur la société américaine. Son scénario dessine subtilement des personnages qui brillent par leur véracité. Leurs histoires personnelles sentrecroisent savoureusement, et on sémeut aussi bien pour les traquas imprévus de Dan Foreman, que pour la tendre relation qui se noue entre Carter et Alex. Quant aux relations, cordiales mais crispées, entre Dan et Carter, elles sont toutes autant savoureuses quelles apparaissent dune grande authenticité. Et cest avec la plus grande intelligence que ces personnages se mettent au service dune critique plus vaste, sur le monde de lentreprise et de la finance en général, où une certaine inhumanité est de mise. Ainsi, le réalisateur brocarde amèrement les rachats dentreprises par des multinationales qui se livrent des guerres sans merci à travers le monde, faisant peu cas de lhumain. Les licenciements des vieux pour mettre les jeunes loups inexpérimentés aux dents longues se font de manière courante et sans aucun cas de conscience, au même titre que les brimades et les humiliations. A ce titre, le monologue de Dennis Quaid face à Teddy K. est une sorte de pied de nez au système américain quon naurait pas imaginé voir dans un film Hollywoodien.
« Tu es le genre de personne avec qui on se sent bien dans un nid »
Sans être réellement audacieuse, la mise en scène de Weitz reste quand même de bonne qualité, son travail sur le rythme du film étant irréprochable, tant ce dernier ne souffre daucune longueur flagrante. De même, son travail sur la temporalité du film est tout aussi correct, et le subtil dosage des ellipses est très cohérent. Mais ce sont surtout ses interprètes qui mettent le film en valeur. Fort dune très bonne direction dacteurs, on saluera la performance du trio principal de comédiens. En tête, Dennis Quaid qui vieillit décidément comme le bon vin. En quinquagénaire séduisant, il brille par la sobriété de son jeu et apporte à son rôle ce côté authentique. A ses côtés, le jeune et méconnu Topher Grace, sorti tout droit de la série télé « That 70s show », impose un jeu dune grande finesse et un charisme insoupçonné. Quant à Scarlett Johansson, elle impressionne une nouvelle fois par sa justesse et par son potentiel de séduction, dans un rôle de fille pas sûre delle. On notera également les jolies performances de Marg Helgenberger qui forme à lécran avec Quaid un couple plus vrai que nature, et de Malcolm McDowall qui trouve en Teddy K. un rôle de mania des affaires taillé à sa démesure. A noter également la judicieuse utilisation dune très bonne bande musicale, doù on retiendra les excellents titres « Glass, concrete and stone » de David Byrne, et « Solsberry Hill » de Peter Gabriel.
« Merci beaucoup. Vous êtes le seul à avoir pris le temps de me mener la vie dure. Vous êtes le seul à mavoir appris quelque chose. Quelque chose qui vaille la peine. »
Contre toute attente, ce « En bonne compagnie » est loin dêtre le film cucul que son affiche et son synopsis laissaient présager. Au contraire, derrière ses apparences légères de comédie romantique, Weitz distille un film sur lentreprise et dresse un portrait très critique du monde du travail et de la finance américain. Mais grâce à un scénario particulièrement bien écrit, les deux thèmes sentrecroisent habilement et donnent un film satyrique sur lentreprise des plus accessibles (beaucoup plus accessible que le néanmoins excellent « Violence des échanges en milieu tempéré » de Moutout en 2004), et une comédie romantique des plus réjouissantes. Et ce dautant plus que Weitz a le bon goût de nous éviter le traditionnel happy-end total, chose rare à Hollywood. Une vraie bouffée dair frais, sans prétentions, qui se laisse suivre avec plaisir. Je vous le recommande fortement !
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