Sicko
« Comment en est-on arrivé à un système où les médecins des assurances causent la mort des patients ? »
Les Etats-Unis sont le pays le plus riche et le plus puissant du monde, mais aussi le plus injuste. Et qui dit injustices, dit Michael Moore. Cette fois-ci le pourfendeur des injustices à choisit de sintéresser au système de santé américain. Si on savait que 50 millions daméricains étaient particulièrement vulnérables faute de pouvoir se payer une assurance de santé, on savait moins que les autres américains, à priori couvert par des assurances puissantes, étaient tout aussi vulnérables, la faute incombant à ces multinationales qui pensent profits avant de penser à la protection des assurés. Les enquêtes du désormais célèbre trublion vont le mener au cur de différents scandales dans lAmérique de la santé et dans lAmérique politique, avant de faire un petit tour dhorizon des systèmes de santé publique de différents pays occidentaux ou voisins des Etats-Unis.
« Pour les assurances, une autorisation de soins est considérée comme un sinistre »
Il est toujours difficile de parler objectivement de Michael Moore, tant son uvre laisse toujours une impression partagée en nous. On lui reconnaîtra forcément le mérite duvrer au réveil des consciences de ses concitoyens, qui semblent souvent anesthésiés par les grands médias locaux (plus que chez nous ?). Son travail de journaliste, visant à dénoncer les scandales et les injustices, est à ce titre tout à fait louable. Dautant que les sujets abordés, comme le marché des armes dans « Bowling for Columbine » (2002), la politique internationale et la façon de gouverner de George W. Bush dans « Fahrenheit 9/11 » (2004), ou désormais linjustice sociale dans « Sicko », dressent des portraits édifiants dune toute puissante Amérique quil met face à ses propres contradictions et qui se révèle souvent méchante, dure, violente, injuste, et incroyablement folle. Une approche humaniste des choses et une sensibilité sur le monde plus européenne en apparence qui lui vaudront même la Palme dor du Festival de Cannes 2004 pour son « Fahrenheit 9/11 ».
Malgré tout, il y a toujours quelque chose dans les films de Michael Moore qui mettent mal à laise. Dans sa démarche tout dabord, où son côté faussement candide agace et lui permet daffirmer haut et fort des absurdités crasses, mais plus que tout, on a toujours limpression que ses démonstrations reposent sur des démarches intellectuelles pas totalement honnêtes.
« Maintenant, je sais que je vais mourir »
Et ce « Sicko » ne déroge pas à la règle. Pourtant, contrairement au très manipulateur « Fahrenheit 9/11 », qui ressemblait plus à un film de propagande quà un vrai travail journalistique, on ne peut pas descendre entièrement ce « Sicko ». Car il met le doigt sur une chose essentielle. Partant du constat quà linverse du pays le plus riche et le plus puissant du monde, tous les pays civilisés, riches ou socialistes ont des politiques daccès aux soins pour tous, il développe une problématique majeure, à savoir si le droit aux soins nest pas un droit fondamental de lhomme. Ce postulat de départ va lui permettre de mettre lAmérique face à ses propres contradictions, entre valeurs chrétiennes et générosité dune part, et libéralisme à tout va de lautre. Son enquête sur les compagnies dassurances privées, multinationales super-puissantes, qui acceptent de laisser mourir des gens en refusant des traitement onéreux pour faire du profit fait froid dans le dos. Dautant que tout cela est orchestré avec le soutient dune classe politique allégrement corrompue par le biais des puissants lobbies de ce secteur. Lenquête de Moore est dautant plus passionnante et flippante quelle est ponctuée de témoignages incroyables de victimes, qui ont souvent tout perdu, et laisse derrière elle un constat amer dune société moralement à la dérive, qui accepte de laisser mourir des gens par profits.
« Que sommes-nous devenus ? Des gens qui jètent leurs concitoyens comme des sacs poubelles parce quils ne peuvent pas payer lhôpital ? »
Mais une fois de plus, Moore fait preuve de malhonnêteté intellectuelle dans la deuxième partie de son film, durant laquelle il décide de sintéresser par comparaison aux politiques de santé publique dautres pays. On ne pourra que soffusquer de langélisme dont il fait preuve pour parler successivement des systèmes de santé Canadien, Britannique, Français, et Cubain. Même si javoue connaître peu le système canadien, je sais que les politiques de réformes du système de santé et des hôpitaux publics ont fait grincer pas mal de dents et que lensemble a été soumis à polémique (pour les cinéphiles, la situation a été évoquée par Denys Arcand dans ses « Invasions Barbares »). Mais ce nest pas là le pire. Ladmiration pour le système anglais et pour ses hôpitaux publics fait immanquablement sourire, tout comme ce quil montre du système français. Outre le rigolo qui négocie son arrêt maladie pour aller faire du voilier sur la Côte dAzur, il névoque à aucun moment le déficit de notre Sécurité Sociale, et surtout, SURTOUT, prend comme exemple de parisiens moyens, un couple aux revenus mensuels de 7500, oubliant au passage les petits salaires ou des gens sans mutuelles pour qui les soins, bien quincomparables avec les prix américains, restent chers. La palme revient à la démonstration cubaine, qui si elle comporte un message de paix maladroit mais respectable, est dune rare hypocrisie.
« Vous soignez gratuitement les scélérats à Guantanamo. On veut juste être soignés comme des scélérats ! Rien de plus ! »
Après, peut-être faut-il remettre les choses dans une perspective différente. « Sicko » naura probablement pas le même impact aux Etats-Unis quen Europe. Peut-être que pour les américains, de voir que des pays quils méprisent, comme Cuba et sa dictature, ou parfois comme lEurope, sont plus avancés queux socialement fera réfléchir et bouger les consciences. En cela sa démarche est importante. Pour ce qui est de lEurope, ce film aura forcément une aura limitée compte tenu de la manière biaisée dont Moore présente les différents systèmes de santé canadien, européen et cubain. Tout juste aura-t-il un intérêt sociologique. Un film néanmoins intéressant, à condition de savoir faire la part des choses.
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