Les cinquante-cinq jours de Pékin
« Nous arrivons dans la ville de Pékin, capitale dun empire millénaire : les gens ici ont une culture raffinée. Nallez pas croire quils valent moins que vous parce quils ne parlent pas votre langue »
Pékin, 1900. Face à la montée dun colonialisme qui ne dit pas son nom et à lévangélisation outrancière dun peuple pourtant fier de sa culture séculaire, la Chine est en proie depuis plusieurs années à de violents mouvements de rébellions, menés par les Boxers, une société secrète, contre les impérialistes étrangers et contre la Monarchie en place accusée dêtre à sa solde. Pourtant, cest bel et bien avec le soutien de la Monarchie quen cette année 1900, les boxers font monter la pression sur les représentants étrangers, assassinant lambassadeur dAllemagne. Alors que Sir Arthur Robertson, ambassadeur dAngleterre, va demander des comtes à lImpératrice, celle-ci le prend violemment à parti, exigeant son départ et celui de tous les ressortissants étrangers au plus vite sous peine dêtre livré à la violence des boxers. Par soucis déviter une guerre beaucoup plus longue avec la Chine et pour ne pas que les nations étrangères ne perdent la face, Robertson convainc tous ses collègues des autres délégations de tenir la position. Encadrés par quelques 400 militaires protégeant les différentes délégations, quelques milliers de personnes doivent alors sorganiser pour résister, barricadés, avec des munitions et des vivres limitées
« - Vous offrez souvent votre vie aux inconnues, commandant ?
- Les inconnues sont souvent les meilleures amies des soldats »
Projet monumental et ultra coûteux, « Les 55 jours de Pékin » sera lun des derniers films du réalisateur Nicholas Ray, à qui lon doit précédemment une vingtaine de films, parmi lesquels « La fureur de vivre » (1956), ou encore « Johnny Guitar » (1953). Premier (et dernier ?) film à prendre le pourtant très cinématographique sujet de la révolte des boxers et du siège des ressortissants étrangers à Pékin en 1900, Nicholas Ray signe ici une grande fresque daventures historique et exotique. Le tournage du film sera caractérisé par une incroyable tension : devant son coût exorbitant, le producteur mettra une pression telle sur léquipe du film que le réalisateur Nicholas Ray sera victime dune crise cardiaque avant la fin du tournage. Hospitalisé et en repos forcé, le tournage du film sera bouclé par les expérimentés Andrew Marton et Guy Green. En raison de sa situation politique peu ouverte sur le reste du monde, et de la teneur du scénario, le film na bien évidemment pas pu être tourné en Chine. Du coup, cest en Espagne qua eu lieu ce tournage, un décor de 24 hectares reconstituant le Pékin de 1900 ayant été construit dans la banlieue de Madrid. Ce projet titanesque nécessitait également un très grand nombre de figurant de type asiatique. Des gens de la production furent donc mandatés de trouver et de faire venir à Madrid un maximum de figurants dans les communautés asiatiques des grandes villes européennes. La légende veut même que durant le tournage, la plupart des commerces asiatiques de Madrid étaient fermés du fait de la présence de leur personnel sur le plateau du film! A noter que « Les 55 jours de Pékin » a été nommé deux fois aux Oscars de 1964 pour la meilleure chanson et la meilleure bande originale (les deux étant signées du grand compositeur Dimitri Tiomkin).
« La Chine est une vache épuisée. Les étrangers ne se contentent pas de la traire. Ils la dépècent et se partagent la viande »
Avec un peu de recul, le film surprend par son positionnement au regard des faits historiques : production Hollywoodienne de la grande époque, elle place certainement trop facilement les occidentaux dans la posture des gentils et des justes. Plus de quarante ans après, on ne pourra que soffusquer quelque peu de cette vision injuste et incomplète de la vérité : il est certain que les boxers ont commis des crimes atroces et des actes de barbarie tant sur les représentants étrangers que sur les franges de la population chinoise jugée trop proche de ces derniers (plus de 30000 assassinats dont quelques centaines doccidentaux). Ce que le film oublie de dire, cest quune fois les armées étrangères venues secourir les assiégés et rétablir lordre, ces dernières, en particulier les troupes allemandes, se sont livrées à une terrible campagne de terreur et de représailles dans les régions alentours. De même, il faut rappeler que le soutien tacite de la Cour Impériale aux boxers nétait pas une décision prise à la légère, mais la volonté du pouvoir chinois de laver lhumiliation faite par les pays occidentaux qui dominaient territorialement et économiquement le pays depuis quelques décennies, dans un colonialisme qui ne portait pas de nom. Néanmoins, cet événement méconnu comporte un intérêt majeur, à savoir de montrer comment les grandes puissances industrialisées ont réussi à sétendre et à mener un conflit commun alors que 14 années plus tard, elles se déchireront dans laffreux conflit que lon connaît, avant de remettre ça en 1940. Mais lintérêt du film se trouve ailleurs, dans cette énorme fresque grandiose, où sur fond historique se dresse une sorte de western en plein milieu de Pékin (comment ne pas penser à des films comme « Alamo » ou « Rio Bravo » qui se placent déjà du côté des assiégés). Du grand cinéma daventures exotiques, comme le grand Hollywood savait encore en faire, avec sa galerie de personnages hauts en couleurs et charismatiques, du commandant courageux et un rien macho à lambassadeur britannique très flegmatique, en passant par une comtesse russe vénéneuse et mystérieuse en quête de rédemption. En cela le scénario, bien que très classique, fonctionne admirablement, faisant la part belle aux grands sentiments : courage et honneur bien virils et amours impossibles. Même sil névite pas toujours les clichés (le personnage de la petite fille chinoise, fille dun officier américain qui meurt dentrée et qui repartira finalement avec le héros).
« - Cest un excellent soldat quand il sait pourquoi il se bat
- Cest plus facile de se battre quand cest pour quelque chose qui se voit : un mur, une rivière. Comment leur expliquer quand cest pour un principe ? »
Côté réalisation, le film est rondement mené par Nicholas Ray qui arrive à maintenir une grande unité de rythme et à éviter les temps morts. La tension est ainsi palpable tout du long, et les 2h30 du film passent comme une lettre à la poste. Dautant que Ray sen donne à cur joie et filme quelques grandes scènes de batailles, comme lorsque les assiégés repoussent les assaillants de lautre côté de lenceinte, ou lorsquils font face à lattaque dune tourelle de bombardement. Lautre grande force du film réside dans sa direction dacteurs. Charlton Heston excelle toujours autant en héros droit, virile et macho. A ses côtés, David Niven apporte toute sa classe et son flegme à ce personnage dambassadeur pragmatique et rusé. Son jeu tout en finesse apporte un parfait équilibre avec celui de Heston, plus caricatural. Ce tendem nous offre dailleurs quelques échanges particulièrement savoureux. Au milieu de cet univers de guerre et de violence, Ava Gardner brille également de tout son charme et de toute sa séduction, dans un rôle qui reste secondaire. A noter également la belle présence John Ireland. On regrettera simplement que lImpératrice et ses deux généraux conseillers soient interprétés par des acteurs blancs maquillés, ce qui semble particulièrement ridicule aujourdhui. La qualité des décors et des costumes est également à souligner, ces derniers recréant une parfaite ambiance romanesque de la Chine de 1900.
« Si vous mourrez Natacha, cest toute la lumière qui séteindra dans cette maison »
Au final, même sil a un peu vieilli, « Les 55 jours de Pékin » reste un grand film daventures spectaculaire. Sa vision des faits historiques semblera bien justement aujourdhui critiquable (les gentils sont les colons blancs, sorte de justification de la colonisation), néanmoins, le film témoigne dune époque révolue où Hollywood savait produire et faire des belles et grandes fresques historiques, fastueuses, avec des parterres de stars prestigieuses. Du vrai et bon cinéma daventures populaire, pour un divertissement de grande qualité.
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