Un coeur invaincu
« Nous nous trouvons à Karachi, cité tentaculaire et chaotique où on ne sait plus comment compter les habitants. Comment faire alors pour retrouver un homme ? »
23 janvier 2002, Pakistan. Daniel Pearl, un journaliste américain enlevé quelques semaines plus tôt, est décapité par ses ravisseurs, extrémistes islamistes. La vidéo de son exécution a ainsi choqué lopinion public international. Quest-ce qui a pu conduire ce journaliste américain à cette fin atroce et funeste ? De lenquête de Daniel sur les traces du terroriste Richard Reid, qui la conduit au cur des réseaux terroristes islamistes et à son enlèvement, à sa propre enquête pour retrouver son mari kidnappé, aidée en cela par ses amis journalistes, et par le contre-espionnage pakistanais, Marianne Pearl, la veuve de Daniel, nous raconte lhistoire de ces quelques semaines terribles faites dangoisse, despoir, de lutte contre la montre, et de confrontation à la mauvaise volonté dune partie des autorités locales.
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« - Je suis censé rencontrer le Cheik ce soir. Quen pensez-vous ?
- Tant que vous restez dans un lieu public, ça devrait aller. Mais soyez très prudent. »
Evènement particulièrement tragique, lassassinat de Daniel Pearl, quelques mois après les attentats du 11 septembre 2001, aura véritablement choqué et marqué la communauté internationale. Pas facile dans ces conditions dadapter un tel sujet au cinéma, de manière objective et sans attiser les haines des uns ou des autres. Ladaptation du livre de Marianne Pearl, récit plus journalistique que romancé, avait le double intérêt de nous plonger dans les arcanes de cette double enquête (sur lenlèvement de Daniel Pearl, et sur la réalité des milieux fondamentalistes au Pakistan), tout en proposant une tonalité assez objective sur les faits. Aux commandes de ce délicat projet, on retrouve Michael Winterbottom, réalisateur anglais touche-à-tout et prolifique, qui sétait illustré aussi bien dans la comédie (« Tournage dans un jardin anglais » - 2006), que dans le porno rock'n'roll (« 9 songs » - 2005). Ceci dit, il nétait pas étonnant de voir un tel projet lui revenir, étant donné le fort intérêt pour les problèmes politiques et humains du monde dont il fait preuve par le passé, aussi bien dans « Welcome to Sarajevo » (1998), « In this world » (2003), que dans son récent « Road to Guantanamo » (2006). A noter que le film a été présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes.
« Il sourit. Il a un revolver sur la tempe et il sourit. Il me fait savoir que tout va bien »
Voilà un sujet cinématographique qui pouvait surprendre, voir même rebuter quelque peu compte tenu de laspect glauque et violent de lhistoire. En effet, du journaliste, qui représente les valeurs de la liberté dexpression et de luniversalisme, enlevé et assassiné, à son épouse qui même enceinte jusquaux yeux va se battre jusquau dénouement que lon sait, on pouvait craindre à tout instant que le scénario sombre dans le pathos et le misérabilisme autocomplaisant. Fort heureusement, il nen est rien. Au contraire, « Un cur invaincu » est non seulement un film réussi, mais il appartient à cette catégorie de films qui ne laissent pas indifférent. Sur un scénario intelligent, décrivant lenlèvement et lattente incertaine vue par les yeux de Marianne Pearl, on ne pourra que souligner la pertinence du parti pris de présenter les faits de manière journalistique, évitant ainsi tout débordement de sensiblerie mal venue, et favorisant au contraire, par la pudeur, une certaine forme de dignité. Plus que tout, ce qui est impressionnant dans ce film, cest quon se laisse prendre au jeu du thriller, alors que nous en connaissons dès le départ lissue tragique. La lenteur relative de lensemble, limmersion dans ce huis-clos étouffant, permettent à Winterbottom de placer son spectateur au centre de ce drame. Ainsi, aussi étonnant que cela puisse paraître, on se laisse porter par lespoir que font naître tels ou tels découvertes, et la course contre la montre finale, menée avec beaucoup de nervosité (montage saccadé, accélération du rythme), notamment lors des arrestations successives, développe une réelle angoisse.
« - Si vous pouviez dire une chose à votre mari ?
- Je taime »
A la réalisation, Michael Winterbottom maîtrise son sujet. Son travail sur lambiance, avec une certaine insistance sur des images de villes surpeuplées, grouillantes, et sales, renforce une sensation détouffement, dangoisse, et dhostilité. De même, sa maîtrise du rythme, qui se fait dabord très lent, pour mieux placer son spectateur en position de témoin privilégié au centre de laction, et son montage, qui lui permet dinsufflé une nervosité qui monte crescendo, sont autant de réussites dans limplication des spectateurs et dans le bon fonctionnement de ce thriller. Sa direction dacteur est peut-être le point le plus faible de sa réalisation. En effet, à force de vouloir jouer sur lintériorité, linterprétation paraît presque impersonnelle compte tenu du caractère particulièrement horrible de ce drame. Ainsi, Angelina Jolie, livre une prestation un peu trop fade et trop froide rendant sa crise de nerf (lorsquon lui apprend le décès de son époux) étonnement fausse. A ses côtés, linconnu Dan Fitterman apparaît trop peu, mais on est frappé par la ressemblance physique de ce dernier avec Daniel Pearl (Angelina Jolie ressemble dailleurs aussi pas mal à Marianne Pearl). Dans les seconds rôles, on soulignera les bonnes prestations dArchie Panjabi, Dennis OHare et surtout de Irfan Khan.
« Tu peux devenir vieille, grosse ou laide. Mais ne perds jamais ton sourire. »
Bonne surprise au final que ce « Cur invaincu ». Malgré la sensibilité de son sujet, Winterbottom réalise un thriller efficace (bien quon en connaisse hélas la fin) et un film intéressant, aussi bien sur la réflexion proposée sur le travail journalistique que sur lenquête sur la disparition de Daniel Pearl. Malgré la sobriété et lapparente neutralité journalistique du scénario, Winterbottom dénonce malgré tout ici les fondamentalismes religieux, et la responsabilité des autorités locales pakistanaises, jouant dans cette affaire un double jeu ambigu. On regrettera quil soit passé un peu à côté du portrait de femme de Marianne Pearl : la froideur de linterprétation et la neutralité dans lécriture du personnage empêchant toute empathie. Le film nen est pas moins un hommage nécessaire à un homme et à des valeurs de liberté. Une agréable surprise.
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