Dans la vallée d'Elah
« Vous savez ce que signifie un drapeau à lenvers ? Cest un signal de détresse international »
Etats-Unis. Hank Deerfield, ancien militaire passé par le Vietnam, vit avec sa compagne. Un matin, larmée lappelle concernant son fils, Mike. Ce dernier, militaire de carrière, est revenu depuis quelques jours dIrak pour une permission, manque à lappel et est considéré comme déserteur. Ayant perdu son premier fils dans le crash dun hélico militaire en manuvre, Hank décide donc de partir mener son enquête à la recherche de son dernier fils. Mais devant le mutisme et le manque de coopération des autorités militaires, Mike na que peu dalliés et dindices pour avancer. Laide dune jeune policière brimée par ses collègues sexistes, Emily Sanders, va laider à entrouvrir quelques portes et à avoir accès à des indices tous plus troublants les uns que les autres quant à la vérité sur son fils, remettant peu à peu en cause ses croyances qui étaient jusquici inébranlables
« Papa, faut que tu me sortes de là »
Homme reconnu et respecté par ses pairs, Paul Haggis reste jusquici assez peu connu du grand public. On lui doit pourtant les scénarios de quelques-uns des plus beaux films de ces dernières années. Unanimement salué ainsi pour ses collaborations avec Clint Eastwood (il signe le scénario de « Million dollar baby », ainsi que ceux de « Mémoires de nos père » et « Lettres dIwo Jima »), il épate tout son monde en passant derrière la caméra pour « Collision » en 2005. Basé sur un sujet grave (dénonciation du racisme et de la violence dans la société américaine), le film sera nommé 6 fois aux Oscars et Haggis gagnera deux statuettes à titre personnel (meilleur film et meilleur scénario). Autant dire quaprès ce coup déclat, sa troisième réalisation, « Dans la vallée dElah », était particulièrement attendue. Dautant que celui-ci, de par son sujet politique brûlant (dénonciation de la guerre menée en Irak par les USA), sinscrit dans une nouvelle mouvance de films contestataires critiquant ouvertement le gouvernement américain, dans lequel on retrouve le récent « Lions et agneaux » (Redford), ou encore le prochain « Redacted » (De Palma). A noter que le film était en compétition à la dernière Mostra de Venise, et quil a été présenté dans plusieurs festivals importants, dont celui de Deauville.
« Mon fils a passé 18 mois dans un trou paumé pour servir son pays et amener la démocratie. Il mérite mieux que ça »
Film dactualité et politique sil en est, le nouveau film de Paul Haggis fait référence, de par son titre, à un passage célèbre de la Bible, durant lequel le Roi Saül envoie le plus brave de ses sujets, David, affronter et vaincre un géant à la force surhumaine, Goliath, qui tyrannise la population. Une parabole en forme de réflexion, acide, sur la légitimité et la responsabilité du gouvernement américain de sacrifier la jeunesse du pays pour une guerre dont la légitimité reste là aussi plus que discutable. Une nouvelle fois, comme dans « Collision » ou dans le diptyque sur la bataille dIwo Jima réalisé par Clint Eastwood, le scénario de Haggis surprend par son éclatement, sa construction en puzzle, et le nombre assez élevé de personnages dont les destins vont se croiser. Cette méthode de construction, qui sappuie sur le mélange des genres (enquête policière, film politique, psychologique, et de guerre) et les révélations successives tout au long de lenquête, permet au réalisateur de jouer habilement sur plusieurs tableaux : lindividuel et le collectif (la nation). Car lenquête, si elle reste véritablement prenante, ne reste que secondaire, ne servant quà mettre en avant ce constat amer de détresse, sur un pays certes belliciste, mais avant tout victime de son gouvernement imbécile, qui joue à plein sur la peur et le patriotisme de la population, et qui nhésite pas à sacrifier sa jeunesse à une cause injuste. Ce constat général est encore plus fort et bouleversant ramené à léchelle de lindividu, ces jeunes recrues que la sale guerre a traumatisé, ravagé, transformé en loups sauvages, drogués, et dune violence aveugle et sans recul (autant entre eux que sur les autres). Une jeunesse quon conditionne à ne plus avoir de limites morales (pratique de la torture, irrespect des populations autochtones en temps de guerre). Une guerre dont les victimes sont aussi ceux qui la mènent sur la terrain, et que létat quils défendent ne fait que les manipuler, les conduisant sans remord à leur propre perte pour des intérêts bien plus vils. Constats qui finissent par avoir raison des convictions de ce vieux Hank, militaire désabusé aux idées conservatrices, qui ne reconnaît plus ni son fils ni son pays, alors quil avait jusquici toujours eu une foi aveugle en larmée américaine et en son gouvernement. Une démonstration et un message subtils, distillés avec une grande intelligence, une grande sensibilité, et une rare maîtrise, et qui prend tout son sens par ce glissement du collectif à lindividuel, du physique au psychologique. De même, on saluera les petites incursions du front sous la forme de petite vidéos réalisées par les soldats via leur téléphone portable, et qui illustre dautant mieux et dans un format court la barbarie pratiquée mais aussi la peur qui sont omniprésentes sur le terrain.
« - Mes deux garçons tu aurais pu men laisser au moins un.
- Il voulait sengager, je ne lai pas forcé
- Dans cette maison, avec toi, pour être un homme, il fallait quil sengage »
Si la mise en scène de Haggis reste assez académique, on ne pourra que reconnaître la vraie maestria avec laquelle il entrecroise ses destins, tout en maintenant le suspens sur cette enquête, reformant son puzzle sur un rythme suffisamment soutenu. De même, il prend bien le temps de développer ses personnages principaux (seul peut-être le personnage de Susan Sarandon a été un peu sacrifié) et de montrer leur évolution psychologique. Bref, un style académique qui rime avec efficacité. Lautre gros point fort de Haggis, cest sa direction dacteurs, pour laquelle la sobriété est toujours de mise, privilégiant une certaine intériorité aux démonstrations et aux palabres outrancières. A ce petit jeu, cest Tommy Lee Jones qui impressionne le plus. Derrière son visage buriné et sa froideur, il laisse exprimer peu à peu une douleur profonde et une remise en question de soi très intérieure, qui sexprime avec beaucoup de subtilité à travers certains regards. A ses côtés, Susan Sarandon, connue pour ses engagements politiques, apporte énormément démotion dans un petit rôle. Enfin, Charlize Theron est toute aussi juste et sobre quà laccoutumée. A noter enfin que deux des comédiens qui interprètent les jeunes militaires amis du disparu, Jake McLaughlin et Wes Chatam, sont des vrais vétérans des campagnes du Golfe.
« Il aimait larmée. Il voulait sauver les gentils et flinguer les méchants. Faut pas envoyer les héros se battre dans des endroits comme lIrak. Cest la merde là-bas »
Pour son retour sur grand écran, Paul Haggis signe avec « Dans la vallée dElah » une critique du pouvoir en place acide, et un film très poignant. Appel à la réflexion et à la remise en question de la politique américaine, « Dans la vallée dElah » est aussi un plaidoyer contre la guerre dIrak et contre le sacrifice inutile de la jeunesse. Cest également, à limage de ce drapeau inversé, un appel de détresse dun pays malade, blessé, qui narrive plus à se sortir de ses contradictions. Ecrit et mis en scène avec beaucoup dintelligence et de pudeur, porté par un grand Tommy Lee Jones, « Dans la vallée dElah » est véritablement lun des grands films de lannée. Essentiel.
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