Dialogue avec mon jardinier
« Mes outils près des tiens, je risque pas de confondre »
Il y a des cinéastes qui surprennent par le côté sinueux de leur parcours. Jean Becker fait partie de ceux-là. Car sa filmographie, en temps que réalisateur, compte quand même des films tels que « Lété meurtrier » (1983), ou « Elisa » (1995). Depuis ce dernier, le réalisateur semble avoir une fâcheuse tendance à sattacher à des projets dune qualité bien moindre. En effet, en signant « Les enfants du marais » (1999), « Un crime au paradis » (2001) et « Effroyables jardins » (2003), Becker sest construit un style rustique, volontairement passéiste, teinté dune nostalgie assez primaire, dont les héros sont des gens simples et très terriens quil oppose toujours à la futilité et au mépris des gens des villes. Avec la sortie de son nouveau film, « Dialogue avec mon jardinier » (adapté du roman de Henri Cueco), on pouvait sattendre au pire. Impressions.
« Cest très bien, sauf quon retrouve rien de ce que tu as sous les yeux »
Lhistoire :
Un peintre quinquagénaire, ayant acquis une petite reconnaissance parisienne, quitte la capitale, pour séloigner de sa femme qui lui demande le divorce et faire le point sur sa vie, pour regagner la maison provinciale et campagnarde de son enfance. Sur place, il fait appel aux services dun jardinier pour prendre soin du terrain en friche et lui créer un potager. Le jardinier nest autre que son camarade denfance quil navait pas revu depuis. Si tout les oppose à première vu (le peintre est urbain, parisien, aisé, intello, branché, alors que le jardinier est rural, prolétaire, pas très érudit, terrien, et pas très riche), lamitié entre les deux hommes se renoue très vite, le peintre étant admiratif devant le regard simple du jardinier qui lui donne au fil des jours une véritable leçon de vie
« Mieux vaut mourir dun coup : on arrive au Ciel en meilleure forme »
Avant de commencer toute la partie critique, je tiens à faire quelques rappels. En effet, à lheure où je rédige cet article, le film en est à sa quatrième semaine dexploitation, et il a déjà dépassé les 700 000 spectateurs en France en trois semaines. Il devrait donc allégrement passer le million de billets vendus et devenir un des succès surprise de lannée. Dautant quil aura été bien porté par une critique quasiment unanime sur les qualités de ce film.
Mais voilà, un film ne peut pas plaire à tout le monde, et ce « Dialogue avec mon jardinier » nest pas selon moi un film satisfaisant.
Tout dabord, il y a le propos, qui est source de problèmes. Jean Becker senferme dans une réflexion de plus en plus extrême sur la société actuelle. On peut être nostalgique, fantasmer ce quon a connu du temps de son enfance, et avoir un goût prononcé pour la campagne et ses plaisirs simples. Mais de là à en faire un film, qui plus caricatural et démagogique, faut quand même pas abuser !
Car le problème de Jean Becker, cest quil visite depuis près dune décennie le même thème mais quil senfonce de plus en plus dans une avalanche de bons sentiments guimauves et des oppositions tellement caricaturales quelles en deviennent absurdes.
Ainsi, il met sur un piédestal le personnage du jardinier, homme dune grosse cinquantaine dannées, qui ressemble davantage à un ancien du Front Populaire quà un ancien ouvrier de la SNCF, qui débite bêtise sur bêtise, platitude sur lieu commun, et qui par son regard pur sur la vie et son goût pour les choses simples redonne du recul et des valeurs à un peintre englué dans des problèmes trop parisiens et donc trop futiles. Hallucinant.
« Ce trou cest mes racines, cest là que jai poussé »
Becker nous dresse des apologies stupéfiantes de démagogie, comme la supériorité de lintelligence du cur à tout ce qui pourrait être de lordre de lintelligible, la supériorité du travail manuel et de la terre à toute autre forme de travail plus futile, et va même jusquà nous faire lapologie de lart figuratif supérieur selon lui à lart abstrait. Toutes ces affirmations incroyables passent dans un ramassis de dialogues dune platitude rare, de scène à lhumour plus que ras des pâquerettes (lenterrement de Poileau ou encore le coup du pétard dans le gâteau, ça vole quand même pas bien haut), de bonne morale terrienne (la scène du joint) et de scènes quon pensais ne plus revoir sur un écran de cinéma (le coup de la leçon de morale de Daniel Auteuil contre un intello stupido-pédant parisien est dun caricatural absolu doit-on y voir une vengeance contre un public qui il est vrai na jamais adhéré à luvre de Jean Becker ? - et dune rare démagogie).
Outre la vacuité et le misérabilisme du propos, Becker narrive même pas à rattraper son film par la qualité de sa mise en scène. Ce nest pas le tout de montrer et de dire quon aime la campagne et les jardins, il faut aussi savoir les filmer de manière à donner envie ou de convaincre. Hormis peut-être la scène de la partie de pêche, les autres paysages de cette campagne, et surtout ce jardin, censé être le lien entre ces deux hommes, sont filmés avec les pieds et sans aucun cur. Ajoutons à cela des comédiens guère convaincants (sauf Daniel Auteuil, pour le coup impeccable), la palme revenant à Darroussin, qui joue ici son énième personnage de vieux couillon bourru au grand cur, et on frise le ridicule.
« Jaimerais que tu me peignes des choses qui me tiennent à cur. Même si cest pas très bien fini, je voudrais juste des couleurs, histoire que je me souvienne »
Pour conclure, Jean Becker, cinéaste de la campagne et du terroir quil défend contre la ville à la manière dun Poujade, nous signe une énième historiette damitié et de campagne, sentant bon le terroir et lencrier décole, le camembert, les vaches, et les tracteurs. Celle-ci ne brille jamais par son originalité, mais nous ressert en plus un plat indigeste de bonne morale désuète, de dialogues lourdingues et démagogiques. Certes, lensemble brille par sa gentillesse. Comme le dirait ma grand-mère qui a adoré ce film, « ça fait du bien un beau film comme ça, où on passe du rire aux larmes et en plus, ça change des autres films puisquil ny a ni violence ni sexe ». Vous le comprendrez, ce film plaira certainement aux personnes âgées, pour qui il semble être calibré. Pour les autres, même si lensemble se laisse suivre, ce film est du même niveau que les affreux téléfilms de France 3 du samedi soir, et nest donc clairement pas indispensable. A vous de voir si vous préférez faire confiance à lavis de ma grand-mère ou au mien !!!
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