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08 Feb

La fabrique des sentiments

Publié par platinoch  - Catégories :  #Inclassables

« Ça fait longtemps que je ne suis pas retrouvée engagée dans une relation longue durée. Mais ça m’allait très bien »

Eloïse, 36 ans, est clerc de notaire à Paris. Belle et brillante, sa réussite professionnelle est incontestable. Pour autant, elle est toujours célibataire, et sans histoire sérieuse depuis plusieurs années. Bien que se satisfaisant de sa liberté et de son peu de contraintes, le désir de se réaliser en tant que femme et mère, et celui de se conformer aux standards sociaux du couple et de la famille se font de plus en plus forts, et elle cherche plus que jamais le grand amour. Se prenant au jeu de la mode et de la modernité, elle s’inscrit à une soirée de speed dating. 7 hommes ayant 7 minutes chacun pour la séduire ou du moins la convaincre de se revoir. Si le résultat de la soirée est peu probant, elle accepte cependant de revoir Jean-Luc, jeune avocat qui partage comme elle la passion du droit. Mais l’aventure naissante entre eux deux tourne bientôt court, en partie pour des problèmes de santé qui minent le moral et la confiance d’Eloïse...

 

« Ce genre de séance, c’est une incitation à la tromperie. On vous incite à tomber amoureux en trois minutes. C’est impossible. Tout le monde ment, en rajoute. On est toujours dans la tromperie de l’image »

 

Quatre ans après s’être fait remarqué pour son excellent premier film, «Violence des échanges en milieu tempéré », qui regardait de façon amère et critique la déshumanisation de notre société par le prisme de l’entreprise, Jean-Marc Montout nous revient avec son deuxième film, « La fabrique des sentiments ». Toujours adepte de l’étude légèrement cynique et pessimiste de nos comportements et de nos sociétés, le réalisateur s’est cette fois-ci intéressé à la solitude et à nos comportements amoureux, de nos désirs confrontés à la réalité souvent contradictoire de nos actes. Pour son deuxième long, il s’entoure d’une partie de son équipe de « Violence des échanges en milieu tempéré », puisqu’on retrouve de nouveau Olivier Gorce qui co-signe le scénario, et Sylvain Vanot qui signe la bande originale. A noter que le film a été sélectionné pour le Festival de Berlin 2008, dans la section Panorama.

 

« Vous avez peur de ne pas être aussi convainquant au-delà de sept minutes ? »

 

Il y a quelque chose de fondamentalement triste dans la vision de nos sociétés par Montout. A commencer par les titres de ses films. Après « Violence des échanges en milieu tempéré » voici donc « La fabrique des sentiments ». Toujours un vocabulaire scientifique et technique, à la fois grave, violent et négatif. Comme pour dresser un portrait pessimiste d’une époque où la société et les rapports entre les gens sont brutaux, standardisés, et biaisés. Avec « La fabrique des sentiments », Montout s’intéresse à nos relations sentimentales, et surtout à l’extraordinaire solitude latente. Entre l’ « Ultra moderne solitude » de Souchon et une version plus édulcorée de l’ « Extension du domaine de la lutte » de Houelbecq, Montout nous livre un constat particulièrement amer et sombre de notre société, où les rapports ne reposent que sur le mensonge et le paraître. Il y a tout d’abord le moyen de la rencontre. Celui, sordide, d’une séance de speed dating, d’une austérité et d’une tristesse infinie, exploitant à mort le désir des participants de rencontrer l’âme sœur. Un moyen de rencontre forcément biaisé, chacun se cachant derrière un masque, essayant de se vendre comme aux enchères en exagérant et en mentant sur ce qu’il est vraiment, supprimant toute spontanéité et toute honnêteté à la base pourtant de toute véritable relation. Mais de manière plus générale, ce genre de concept de rencontres est représentatif d’une certaine époque hypocrite et désenchantée, où la contradiction repose sur les désirs de chacun et l’envie de se conformer aux modèles séculaires de famille stable avec des enfants. Pour autant, à y regarder de plus près, Eloïse vit relativement bien toute seule et sans réelle contrainte. Elle tient à sa liberté et à son indépendance, grâce auxquelles elle a réussit brillamment sa vie professionnelle. Bien sûr elle a envie de fonder une famille, mais plus que tout, elle rêve de se conformer aux normes, pour mieux exister dans l’œil des autres. La scène de confidence à sa meilleure amie où elle réinvente sa rencontre avec Jean-Luc est à ce titre très symptomatique pour Montout de la grande comédie humaine dans laquelle nous sommes, une société basée uniquement sur le superficiel, l’apparence et le mensonge.

 

« Y’a pas beaucoup d’amour dans tout ça… »

 

Si son film connaît son lot de temps morts, notamment toutes les parties concernant la maladie d’Eloïse, le film de Montout jouit quand même d’un scénario très subtil et très bien écrit, privilégiant le dialogue et la psychologie des personnages à l’action. Sur la forme, le désenchantement et l’amertume du film se traduisent par une mise en scène ultra stylisée, privilégiant l’austérité visuelle, l’impersonnalité et la froideur. Que ce soit dans les décors, comme la salle de speed dating en béton et en lumières blafardes et les appartements, chics mais épurés et froids, ou dans les lumières, à dominantes grises et bleues pâles, avec un soin apporté à avoir toujours des ciels gris, Montout insiste à fond sur ce côté impersonnel et triste, sur ces décors quasi industriels, renforçant un peu plus son constat pessimiste sur notre société. Le film bénéficie également du jeu très inspiré de ses comédiens. Elsa Zylberstein en tête. Très impliquée dans le ce projet, elle fait étalage de toute sa classe et de toute sa sensibilité, rappelant par là même qu’elle est une actrice décidément trop rare. A ses côtés, on retiendra surtout Jacques Bonnaffé, étonnant en faux dépressif et vrai cynique. Reste un Bruno Putzulu convainquant en séducteur mielleux et menteur.

 

« - Et toi tu aimes ta vie ?

   - En tous cas, j’aime la vie »

.

 Pour son deuxième long, « La fabrique des sentiments », Jean-Marc Montout s’intéresse de nouveau à la déshumanisation de notre société par le biais de nos comportements amoureux. Si le film nous donne de nouveau la preuve que le réalisateur porte un regard désabusé et pessimiste sur son époque, il nous confirme également toutes les qualités de metteur en scène qu’on avait entrevue dans « Violence des échanges en milieu tempéré ». Scénario intelligent et bien écrit, sens du dialogue et de l’observation, et mise en scène stylée avec une grande faculté pour créer des atmosphères froides, cette « Fabrique des sentiments » est un brillant et corrosif instantané de la comédie humaine. Œuvre profondément désenchantée et pessimiste, « La fabrique des sentiments » est une très bonne surprise, probablement le meilleur film français de ce début d’année.



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F
oui à voir. Un très beau film servi par un casting de haut vol.
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B
Heureusement que tu es là avec tes critiques toujours impartiales. En effet, la bande d'annonce ne m'incitait guère à voir ce film. Du coup, je me sens presque obligé à aller le découvrir. Merci
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