Interview
« Beyrouth, Bagdad, cest un peu comme Sarajevo. Mais franchement, Bagdad, cest dur ! »
Steve Buscemi, comédien atypique au physique particulier, est lun des seconds rôles les plus brillants et lune des « gueules » les plus marquantes dHollywood. Habitué à jouer chez les frères Coen (« Fargo », « The big Lebowski »), chez Di Cillo (« Delirious », « Ça tourne à Manhattan »), chez Michael Bay (« Armageddon », « The island »), où pour le tandem Tarantino-Rodriguez (« Reservoir dogs », « Desperado »), Steve Buscemi sest également illustré par ses propres réalisations (on lui doit notamment « Lonesome Jim » en 2005). Avec « Interview », il signe son quatrième long. A noter que ce film est un remake de « Interview », signé en 2003 aux Pays-bas par Theo Van Gogh, et quil ouvre une trilogie de remakes américains rendant hommage au metteur en scène néerlandais assassiné en 2004 par un intégriste islamiste suite à son controversé « Submission ». Réactions à chaud.
« Cest votre sourire rayonnant qui provoque des accidents ! »
Lhistoire :
Pierre est journaliste politique, spécialiste des relations internationales. Ancien correspondant dans les zones chaudes en guerre, il doit ce soir réaliser linterview de Katia, dernière starlette à la mode, qui connaît le succès grâce à sa sitcom et à ses films pour adolescents. Face à cette perspective peu réjouissante, il ne peut sempêcher de se comporter comme un mufle quand cette dernière arrive au rendez-vous, qui plus est avec une heure de retard. Léchange est virulent et bref. Une fois dehors, alors que Katia est harcelée par les paparazzi et les passants qui lui réclament des sourires et des autographes, Pierre monte dans un taxi. Ce dernier reconnaissant la starlette finit par avoir un accident par manque de concentration, blessant légèrement Pierre. Se sentant un peu coupable, Katia lui propose quelques soins chez elle. La relation entre les deux changeant peu à peu, une autre interview commence finalement
« Je serais politicienne, vous me poseriez les mêmes questions ? Je vous ennuie à ce point là ? »
Sorte de huis-clos total, filmé en permanence par trois caméras, « Interview » se caractérise avant tout par une forme originale. Sans jamais sombrer dans une certaine théâtralité que le huis-clos pouvait encourager, Steve Buscemi nous livre un film finalement assez dynamique compte tenu quil ne repose que sur les échanges entre deux personnages enfermés dans un même lieu. En reprenant la même méthode que Theo Van Gogh, avec trois caméras numériques filmant simultanément, il nous livre un montage dynamique, offrant une grande impression de spontanéité et de naturel dans les échanges entre ces deux protagonistes. Dautant que les dialogues, signés également par Buscemi, savèrent intelligents et souvent savoureux, alternant humour cynique et corrosif et moments plus dramatiques. Les répliques, gentiment cruelles, font souvent mouche, et si scénaristiquement parlant les deux personnages cherchent à prendre lascendant sur lautre pour mieux le dominer, les deux personnages sont fouillés de manière égale et prennent également vie devant la caméra. On notera aussi le bon travail sur lunité de temps, puisque le film est censé se dérouler sur une partie de la nuit.
« - Je baise pas les célébrités !
- Je baise pas avec les minus »
Malgré cela, on a du mal à se sentir réellement comblé devant cette « Interview ». Si lidée de base la confrontation entre deux personnalités que tout oppose semblait réellement bonne, et si la volonté de se jouer des apparences (lintello se montre finalement le moins rusé et le plus salaud, la starlette se montrant moins idiote, creuse et prétentieuse quelle ny paraît) était bien amenée, manquait malgré tout une bonne dose de crédibilité et surtout doriginalité à ce film. Originalité, tout dabord, puisquil ny a rien de bien nouveau dans cette confrontation dominée par les préjugés : le journaliste en situation déchec, qui se comporte comme un vrai salaud fouille-merde à la recherche dun scoop, et la starlette, bimbo, saute-au-paf et forcément cocaïnomane semblant ainsi être des rôles on ne peut plus caricaturaux. Crédibilité également, puisque le film part tout seul dans des travers absurdes. Si pourtant lensemble commençait bien, avec un portrait de starlette moins caricatural que prévue (celle-ci se montrant disponible, attentionnée, sympa), et un portrait de journaliste moins idyllique que ce à quoi Hollywood nous a habitué (pas professionnel, pédant et blessant), les ultimes révélations personnelles du journaliste finissent par porter un coup majeur au film qui devra se contenter dêtre catalogué comme « moyen ». Et ceci est dautant plus dommage que le jeu de chat et de la souris auquel se prête nos deux personnages est plutôt savoureux, avec ce mélange dattraction et de répulsion, de séduction et de volonté de blesser.
On pourra également saluer lexcellent niveau de linterprétation, en premier lieu duquel figure la magnifique Sienna Miller, dans un rôle qui lui permet indirectement de régler ses propres comptes avec la presse (lex de Jude Law est pas mal passée pour la bimbo de service, sans cervelle et sans talent, ces derniers mois). Face à elle, le toujours impeccable Buscemi réalise une jolie performance (même si le voir dans un énième rôle de salaud looser devient une fâcheuse habitude), tout en sobriété, dautant plus forte quil sauto-dirige sur un projet aussi complexe.
« Si javais une grenade, je vous la mettrais dans le cul »
Pour conclure, « Interview » est une gentille comédie bien écrite, réflexion acide sur la célébrité et sur les apparences. Si Steve Buscemi se sort avec brio des pièges inhérents à la forme spécifique de son film (il arrive à créer une forme de dynamisme et de spontanéité alors que son film, un huis clos très dialogué et bavard, risquait de glisser vers un excès de théâtralité), il narrive cependant pas à éviter quelques situations extravagantes et trop caricaturales. Si on passe un agréablement moment à suivre ce jeu de cache-cache entre séduction et volonté de destruction de lautre, on doit reconnaître pour autant que ce sympathique film nest pas le chef duvre de lannée.
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