Jeux de dupes
« - Le football professionnel nexiste pas : ce ne sont que des mineurs et des fermiers qui composent les équipes. Comment voulez-vous faire ?
- Il faut investir. Et insuffler de la vie »
1925, Etats-Unis. Le football professionnel nen est encore quà ses balbutiements, encore très dépendant des petits entrepreneurs locaux qui financent les équipes du cru. De matches en terrain vague devant des publics restreints en passant par les fins de parties tournant au pugilat général faute de règles fermes et darbitres capables de les faire respecter, lentreprise sent encore lamateurisme à plein nez. Pourtant, il est pratiqué par des hommes passionnés par leur sport, et qui souhaitent par ce biais éviter la vie morose et difficile en usine à laquelle la majeure partie dentre eux est destinée. La situation est dautant plus paradoxale quà la même époque, les stades du championnat universitaire font le plein tous les week-ends. Mais le jour où la petite équipe de Duluth est lâchée par son principal investisseur, tous ses membres sont contraints de mettre la clé sous la porte et de reprendre sa petite vie monotone et laborieuse. Mais les temps sont difficiles, et le capitaine de léquipe, Dodge Connolly, la quarantaine, qui a consacré sa vie au sport, narrive pas à retrouver demploi faute de qualification. Fauché mais déterminé, il décide daller convaincre la star montante du football universitaire, Carter Rutherford, de rejoindre son équipe, afin de profiter de la popularité de ce dernier pour trouver de nouveaux investisseurs à même de relancer léquipe. Mais une jeune journaliste ne lentend pas de cette oreille, voulant prouver que Carter, jouissant dun statut de héros national depuis un fait darme courageux lors de la Grande Guerre, nest en fait quun imposteur
« Peu importe la tactique, lessentiel cest la victoire »
Après une série de films à message politique (« Good night and good luck », « Syriana ») et de films plus sombres (« The good german », « Michael Clayton »), George Clooney revient à un registre beaucoup plus léger avec ce « Jeux de dupes ». Troisième réalisation du comédien après « Confessions dun homme dangereux » (2003) et « Good night and good luck » (2006), ce « Jeux de dupes » est un projet ancien qui a bien failli ne jamais voir le jour. En effet, Duncan Bratley, célèbre chroniqueur sportif américain, se lance dans des recherches sur le football des années 20 dès la fin des années 80. Séduit et inspiré par la galerie de joueurs hauts en couleur de lépoque, il décide de se lancer dans lécriture dun scénario, quil termine en 1993 et quil propose à Steven Soderbergh. Ce dernier, emballé, décide de se lancer dans le projet, proposant le rôle principal à son ami George Clooney. Jusquà ce quun jeu de chaises musicales chez Universal (qui devait produire le film) ne remette en cause le projet qui est donc resté en stand-by durant tout ce temps. Finalement, plus de dix années après, cest George Clooney qui a relancé le projet, en assurant lui-même la production via sa société de prod. A noter que le personnage de Dodge Connolly est inspiré dun véritable joueur de cette époque, John McNally.
« Je ne suis pas un gentleman, je suis un footballeur »
Un peu boudé par la critique, ce « Jeux de dupes » souffre notamment des mauvaises langues arguant que ce film - mineur dans la carrière de Clooney nest quun prétexte à voir ce dernier se mettre en valeur dans un énième numéro de séduction décalée façon « What else ». Dautant que pour ne rien gâcher, Clooney y apparaît la plupart du temps transpirant dans la boue. Des arguments un peu simplistes, sans doute, même sils ne sont probablement pas totalement réfutables. Mais peu importe, a-t-on envie de dire. Lessentiel est ailleurs. De ses propres mots, Clooney avoue volontiers avoir voulu faire une comédie « superficielle », genre de film léger quil affectionne. Et cest ce quil semploie ici à faire, sans prétention, et finalement avec beaucoup de classe. Ainsi ne faut-il pas craindre le sujet (certes peu glamour et peu passionnant à priori pour un européen) du football américain. Car celui-ci ne sert que de toile de fond au tableau que peint le réalisateur. Un tableau qui sintéresse à lAmérique des années 20, période si particulière de lHistoire des Etats-Unis, celle-ci se trouvant alors à la croisée des chemins, perdue d'une part entre l'euphorie de la victoire lors de la Grande Guerre et l'imminence de la crise de 29, et dautre part entre une situation encore sauvage et sans règles, et une période de révolution économique, industrielle et sociale, qui conduira le pays dans lère de la modernité la plus absolue. Campant lui-même un personnage qui a le cul entre deux chaises et deux époques auxquelles il nappartient pas entièrement (il est trop moderne pour lune et trop en retard pour lautre), Clooney en profite pour dresser une sorte de bilan de lAmérique daujourdhui, critiquant en vrac la manipulation des médias et des institutions qui font et défont les héros nationaux et la célebrité au gré de leurs intérêts, le pouvoir de largent dans la société, utilisé bien souvent sans discernement, et qui corrompt un certain nombre de gens et de valeurs, ou encore lavalanche de règles qui régissent la société, parfois absurdes, qui transforment lhomme en un lion en cage et lui retirent son panache (son personnage est désormais trop vieux au regard des règles pour jouer en pro, les irrégularités de jeu sont sanctionnées mais privent le public dun spectacle réjouissant). Un constat parfois amer mais pour autant jamais empreint dun regret conservateur façon « cétait mieux avant », et toujours amené avec humour et légèreté.
« - Pour garder mon job, je dois courber léchine
- Bottez en touche, nayez pas peur, ça finira bien par rebondir »
Sur la forme, lhommage de Clooney aux comédies des années 30-40 est évident, tant les clins dil sont nombreux. Ainsi, lombre des Cukor (on pense notamment à « Mademoiselle gagne tout » avec Katharine Hepburn et Spencer Tracy), Sturges, Hawks, ou encore Capra semble planer de manière évidente (bien que parfois de manière maladroite) sur le film. Et ce dautant plus que les comédiens se donnent un malin plaisir à typer leur jeu à la manière de leurs aînés, Clooney se glissant parfaitement dans le registre dun Cary Grant, tout en séduction décalée et humoristique, tandis que la pétillante et malicieuse Renee Zellweger fait ici immanquablement penser à la charmante Veronika Lake. La mise en scène est également joyeusement inventive et soignée, Clooney reprenant volontairement de nombreux éléments du burlesque et du muet pour recréer lambiance des années 20. Il y a dailleurs dans ces éléments, dans lhumour burlesque et les mimiques de Clooney, ainsi que dans la jolie photographie aux tonalités sépia, quelque chose rappelant lambiance du film « Obrother » des frères Coen, dans lequel il jouait. A noter également la chouette bande musicale signée par Randy Newman. Au final, avec ce « Jeux de dupes », Clooney soffre une petite récréation dans lunivers de la comédie légère. Plus malin quon voudrait bien le croire, ce film sans prétentions ni complexes, savère être à défaut dun grand film, un agréable divertissement séduisant et plein de fraîcheur. A voir !
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