Prends l'oseille et tire-toi
« Ce gamin est un gangster. Cétait de la mauvaise graine : jai essayé de lui faire entrer Dieu dans la tête à coup de pompes dans le cul, rien à faire ! »
Lincroyable destin de Virgil Starkwell, qui deviendra malgré lui lennemi public numéro un des Etats-Unis. Pourtant qui aurait pu croire quun tel destin attendrait cet enfant maladroit et bousculé par tous ses petits camarades de son quartier populaire ? Rêvant pourtant dune vie tranquille mais trop maladroit pour lavoir, Virgil naura dautres solutions que de se lancer dans le banditisme pour survivre. Mais ce mode de vie incertain et ponctué de longs séjours en prison deviendra vite incompatible avec la vie que Virgil voudra offrir à Louise, une jolie ingénue dont il séprendra au hasard de ses vols à la sauvette
« - Nous allons avoir un enfant. Cest un beau cadeau de Noël que je te fais.
- Mais moi je voulais seulement une cravate »
Première réalisation du talentueux et prolifique Woody Allen, « Prends loseille et tire-toi » a été réalisé en 1969. Si Allen a toujours été attiré par la réalisation, il nambitionnait initialement pas de passer derrière la caméra pour mettre en scène son scénario. Jerry Lewis fut même un temps contacté pour le réaliser, mais occupé sur dautres projet celui-ci déclina la proposition. Finalement, suite à sa déception quant au tournage et au résultat de « Casino Royale » sur lequel il avait travaillé en tant que scénariste et comédien deux ans plus tôt, Allen décida de franchir le pas et de diriger lui-même son film. Pour la petite histoire, le montage original prévoyait de finir sur la mort du héros, abattu dans une scène parodiant la scène finale de « Bonnie & Clyde ». Une fin peu probante gâchant en partie la qualité générale de cette comédie selon lavis de lexpérimenté monteur, Ralph Rosenblum. Celui-ci proposa de larranger et est à lorigine de la version finale que nous connaissons. Satisfait de ses conseils avisés, Allen le gardera comme son monteur attitré pour tous ses films suivants, jusquà « Annie Hall » en 1977.
« La prison qui doit me retenir nest pas encore construite. Je sortirai de celle-ci, même si je dois y passer ma vie »
Absurde et loufoque, tels pourraient être les adjectifs qualifiant le mieux les premiers Woody Allen, dont fait partie ce savoureux « Prends loseille et tire-toi ». Filmé à la manière dun reportage sur la vie dune célébrité, comme certaines émissions sen sont faites une spécialité (« Hollywood stories » pour ne pas la citer), le film met en scène la piètre carrière dun bras cassé rêvant de devenir un grand gangster, de son enfance à sa chute. Un anti-héros au physique en totale opposition avec ses aspirations, qui rappelle finalement un peu le personnage de Charlot, la poésie en moins. De scènes improbables (lévasion avec un pistolet en savon fondant sous la pluie vaut son pesant de cacahuètes, tout comme la seconde évasion où les autres participants oublient de prévenir le héros que celle-ci est annulée) et désopilantes en répliques pleines de non-sens, Allen régale son public avec cette farce burlesque, brillamment écrite, et qui noublie pas de se montrer provocatrice et critique à légard de la société de lépoque (certains gangsters qui ont mieux réussis que lui ont fini politiciens, rôle omniprésent et paranoïaque de la CIA). Tout juste reprochera-t-on à lensemble le fait quil ait un peu vieilli. De même, certaines baisses de régime dans le rythme sont à noter, mais la courte durée du film (une heure vingt) permet cependant de restreindre ces petits défauts.
« Finalement, pour lensemble de ses crimes, il est condamné à 800 ans de prison. Il avoue alors à son avocat son espoir de voir sa peine réduite de moitié »
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La réussite du film passe avant tout par son scénario brillant et dune finesse comique remarquable, qui enchaîne les bons mots et les répliques hilarantes, et qui ont fait le succès de lauteur. Mais est-il nécessaire de rappeler que Woody Allen est un brillant scénariste ? Sa mise en scène savère tout aussi malicieuse et parfois même audacieuse, Allen nhésitant pas à jouer sur des parties visuelles très burlesques empruntées directement au muet (le coup de la fanfare avec la chaise par exemple, ou encore celui de la machine à plier les chemises). De même, le film jouit dun montage efficace, qui donne une certaine forme de réalisme au format documentaire, tout en apportant un rythme et une fluidité qui mettent parfaitement en valeur les gags. Dommage cependant que le visuel soit aussi dépouillé, souffrant notamment dune photographie franchement peu plaisante. Interprétant le personnage central du film, Allen crève lécran, rappelant au passage quil est un incroyable acteur dans le registre comique. A ses côtés, la jolie et regrettée Janet Margolin (quAllen retrouvera pour « Annie Hall ») est tout aussi convaincante, nhésitant pas non plus à jouer sur le décalage entre son image de fille charmante et les loufoqueries du scénario. Sans être parfaite, ce deuxième long de Woody Allen vaut le détour par la causticité de son scénario brillant. Posant les bases dun style original, « Prends loseille et tire-toi » annonce clairement la naissance dun réalisateur de talent qui aura la carrière que lon sait. Si le film a un peu vieilli, néanmoins, il demeure une comédie très légère et plaisante à regarder.
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