Tombe les filles et tais-toi
« Mon psychanalyste disait que cétait un problème dordre sexuel. Foutaise ! On avait pas de rapports. Ou si peu. Et encore, elle regardait la télé avant, pendant, et après ! »
Un cinéphile averti, passionné par les oeuvres et le personnage qu'incarne Humphrey Bogart à l'écran, se consacre entièrement à cet art au point d'en délaisser sa femme Nancy qui demande le divorce et le laisse seul. Désemparé, il erre de psychiatre en psychanalyste. Un couple d'amis décide alors de le prendre en charge et de lui faire rencontrer d'autres femmes. Malgré les conseils techniques de son hallucination permanente, ces relations ne sont guère couronnées de succès. Parviendra-t-il au bout de sa quête amoureuse ?
« Sois toi-même. Même si cest dur ! »
Réalisé en 1972, ce « Tombe les filles et tais-toi » est ladaptation cinématographique dune pièce à succès de Woody Allen, écrite trois ans auparavant et interprétée plus de 400 fois sur scène par les mêmes comédiens que dans le film. Pour autant, sil sagit véritablement du premier film personnel dAllen, ce dernier nest ici que scénariste et comédien, la réalisation étant assurée par Herbert Ross, à qui lon doit « Le tournant de la vie » (1977), « Footloose » (1984), « Potins de femmes » (1990), ou encore « True colors » (1991). « Tombe les filles et tais-toi » est la première des sept collaboration entre Allen et Diane Keaton. Une collaboration fructueuse puisque lactrice sera Oscarisée quelques années plus tard pour son rôle dans « Annie Hall» du même Allen. Sorte de fil rouge dans le film, Allen fait une sorte dhommage parodique au comédien Humphrey Bogart, incarnation de par ses rôles dune certaine image du héros viril et invincible. A ce titre les références a « Bogie » sont nombreuses, les images originales du film « Casablanca » ouvrant le film dAllen. De même, le titre original du film « Play it again, Sam » renvoie également au chef duvre de Curtiz, où Bogart demandait à son pianiste Sam de jouer la musique lui rappelant sa liaison avec Ingrid Bergman « As time goes by ». A noter enfin que le film aurait du être tourné à New York, mais quune grève des techniciens de cinéma de la ville a contraint léquipe à tourner celui-ci à San Francisco.
« - Cest facile pour vous : vous êtes Bogart !
- Tout le monde est un peu Bogart par moment. Toi même tu les en ce moment en sacrifiant lamour à lamitié »
Loin de ses dernières réalisations en date plus classiques, ce « Tombe les filles et tais-toi » est le premier vrai projet cinématographique personnel de Allen, bien quil ne lai pas réalisé lui-même. Néanmoins, il y pose clairement toutes les bases de ce qui deviendra son style et sa marque de fabrique pour les deux décennies à venir, à savoir cet anti-héros au physique chétif et ingrat, obnubilé par les femmes, et totalement névrosé. Pour ce premier projet, ce personnage campé par Allen voue un culte au légendaire comédien Humphrey Bogart, sorte dicône virile sûr de lui et invincible par excellence, à lexacte opposé de son personnage. Cest dailleurs sur ce décalage que repose une bonne partie de lhumour du film, « Bogie» apparaissant comme lincarnation de la conscience de Allan, lui prodiguant de nombreux conseils pour tomber les filles. Un humour subtil qui repose aussi bien sur des dialogues décalés et cinglants (certains étant désormais devenus cultes, genre « Je pourrais vendre ma mère aux arabes pour avoir cette fille », ou encore « - Comment te souviens-tu de la date de mon anniversaire ? Cest le même jour où ma mère sest fait opérée dun kyste à lovaire ») que sur un aspect visuel burlesque, très inspiré du muet (la scène où Allen joue les durs pour impressionner une fille et où sa maladresse le conduit à ruiner une partie de son appartement est assez hilarante). Mais tout le raffinement et lintelligence du cinéma dAllen repose également (et surtout) dans sa forme. A commencer par la manière dont il déroule son fil rouge Bogartien. En effet, ce « Tombe les filles et tais-toi » souvre sur les images de la scène finale du mythique « Casablanca » de Curtiz, et se conclue sur un pastiche à mourir de rire, reprenant mots pour mots et images par images loriginal, où Allen, grand seigneur, laisse partir la femme dont il est épris au bras de son meilleur ami. Une scène aussi brillante quhilarante. Dautant quAllen ne se contente pas de faire une grosse farce raffinée : il sinterroge derrière tout ça sur les rapports hommes/femmes, sur la possibilité dune amitié désintéressée, et sur lhypocrisie des jeux de séduction. Le film doit également sa belle réussite à une réalisation soignée, et surtout à un rythme finalement assez théâtral (le texte est véritablement le moteur de ce film et prime sur limage), qui ne laisse pas la moindre place aux temps morts. Mais ce subtil vaudeville ne serait rien sans la performance des comédiens, Woody Allen en tête, assumant et jouant pleinement de son physique pour donner vie à ce personnage de geignard frustré. A ses côtés, la jeune débutante Diane Keanton fait des débuts tonitruants, imposant son joli minois trop sage et une bonne dose de malice. Craquante à souhait, elle incarne parfaitement lobjet de désir Allénien par excellence. Un duo parfaitement complété par le méconnu Tony Roberts. Une uvre à la fois brillante et hilarante, qui a défaut dêtre parfaite annonce la naissance dun grand auteur et cinéaste. Une bonne raison supplémentaire pour voir ce film délicieux!
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