Une vieille maîtresse
« Nous avons vécu une liaison singulière, en dix ans, nous nous sommes plus haïs quaimés »
Il était étonnant de retrouver Catherine Breillat en compétition officielle au Festival de Cannes. En effet, ses derniers films étaient tellement provocateurs et sulfureux, souvent avec des scènes de sexe non censurées, et un univers pas toujours facilement accessible pour ses spectateurs, quon imaginait mal comment un film dans la lignée de « Romance X », « Anatomie de lenfer » ou « Sex is comedy » aurait pu être accueilli sur la Croisette.
Cétait sans compter sur une sorte dassagissement de notre Breillat nationale. En choisissant pour sujet ladaptation du roman de Barbey DAurévilly, traitant notamment de passion et de libertinage, Breillat réalise un film en costumes dépoque, une première pour elle. Et ladaptation de cette histoire, qui nest pas sans rappeler (en moins forte ceci dit) « Les liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos, est probablement aussi son film le plus accessible à ce jour. Impressions.
LHistoire :
Dans le Paris de 1835, une marquise du plus haut rang décide de marier sa petite-fille à un jeune noble, Ryno de Marigny, dont il est de notoriété publique quil est désargenté, joueur, et surtout libertin. Mais ce que les gens ignorent, cest quil entretien une relation passionnelle depuis dix ans avec une courtisane dont les murs sont de réputation tout aussi scandaleuses. A la demande de celle-ci qui lui demande la plus grande honnêteté, il décide de raconter lhistoire de cette passion à la marquise de Flers avant de prendre sa petite-fille pour épouse.
« Si vous nétiez pas déjà mariée, je vous demanderai de mépouser sur le champ »
Le film surprend tout dabord par sa forme très « littéraire » : là où « Les liaisons dangereuses » de Frears surprenaient par cette légèreté et ce rythme sans réels temps morts dans le récit pourtant tout aussi « littéraire », Bréillat choisit une mise en scène assez conventionnelle, sans franchement dactions, et très bavarde. Cest un choix délibéré et discutable, mais qui donne au film une identité propre, très lente, et finalement assez froide, compte tenu du sujet, la passion amoureuse.
Car au-delà du libertinage, cest dune véritable passion dont il est question ici. Passion tumultueuse et destructrice, à laquelle le héros tente en vain de faire tout ce quil peut pour sen échapper. Car cette passion, cest avant tout la collision entre Vellini et Ryno, deux tempéraments bien trempés, deux libertins assumés, et deux dominateurs en puissance. Et à ce jeu-là, chacun prend un plaisir fou à soumettre et torturer lautre pour finalement ne pas pouvoir se passer de lui, et lui revenir toujours. En choisissant de longs monologues et de longs flash-backs pour nous décrire cette liaison si particulière, Bréillat dissèque lentement cet amour, du long jeu de séduction et de conquête, jusquà ce jeu dautodestruction, emportant avec lui tout ceux qui lentourent.
« Ce nétait pas de lamour mais une furie sans fin »
Loin des sujets plus provocateurs, plus crus, Catherine Breillat révèle ici une certaine forme de romantisme. Cest dailleurs laspect le plus étonnant de son nouveau film. Certes, certaines scènes paraissent un peu provocantes et rappellent le passé de la réalisatrice (on pense notamment à cette scène où les deux amants font lamour dans le désert devant le brasier sur lequel brûle le corps de leur petite fille décédée accidentellement.), mais dans lensemble, on (re)découvre le cinéma de Catherine Bréillat. Car là où laspect sentimental était souvent happé par les aspects plus crus, dirons-nous, dans ses films précédents, elle nous livre ici une histoire brûlante, assez bouleversante, dune passion dune intensité destructrice incroyable. Changement de sujet donc, mais aussi de genre, pour un ensemble qui au final réussit plutôt bien à sa réalisatrice.
Car si le film est lent, et souvent assez bavard, les mots sonnent toujours justes et font ressortir des sentiments assez profonds qui animent parfaitement des personnages parfaitement développés.
Bien évidemment, comme toujours chez Bréillat, le film reste très charnel, mais cette fois l'amour y est beaucoup plus voluptueux que cru.
« On ne trompe pas quelquun que lon aime avec quelquun que lon naime plus »
Si Bréillat transforme plutôt bien son essai, elle le doit non seulement à sa réalisation très personnelle, mais également à des comédiens très convaincants. Le jeune FuadAit Aattou, inconnu au bataillon, dont cest ici la première expérience cinématographique, vampe totalement la caméra. Sa beauté particulière, son timbre de voix et son jeu très subtil, irradie le film de bout en bout. Mais malgré cela, cest sa partenaire, la ténébreuse italienne Asia Argento qui fascine totalement. Parfaite dans ce rôle de courtisane au sang chaud et passionnée, elle habite superbement ce rôle de femme à la fois forte et soumise, et par ses excès compose un personnage parfaitement en décalage, souvent à la limite de la vulgarité, qui colle parfaitement à cette histoire. Dans ce trio amoureux, cest probablement la jeune Roxanne Mesquida qui brille le moins, la faute sans doute à jeu un peu fade. Claude Sarraute, pour son premier rôle est également très convaincante en grand-mère finalement assez ouverte sur les murs de son temps. Reste le tandem Yolande Moreau/Michel Lonsdale, très savoureux, tout en cynisme et en bons mots.
Notons également la présence dans des petits rôles, souvent de simples apparitions, de toutes les actrices qui ont brillé à laffiche des précédents films de Catherine Bréillat, comme Anne Parillaud (« Sex is comedy »), Amira Casar (« Anatomie de lenfer »), ou encore Caroline Ducey (« Romance X »).
Pour conclure, Bréillat surprend avec un film en costume, romantique et littéraire, un genre assez inhabituel pour elle. Le film, loin des effets de provocations auxquels sa réalisatrice nous a habitué, propose une magnifique histoire de passion amoureuse. Servi par des interprétations de très bonne qualité, Bréillat nous propose un film déroutant par sa forme très lente et très bavarde, mais qui, pour peut quon y adhère, se révèle parfaitement envoûtante. De loin son meilleur film.
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