Elmer Gantry, le charlatan
« Lamour est létoile du matin et létoile du soir. Et quest-ce que lamour ? Ce nest pas lamour charnel mais lamour divin »
Etats-Unis, années 20. Elmer Gantry est représentant de commerce. Il sillonne le pays avec ses valises de marchandises, allant de chambres dhôtels miteuses en démarchages de commerçants dans lespoir de faire fortune. Son bagout, son goût pour les plaisirs de la vie (femmes, tabac, alcool
), et ses talents dorateur hérités de son passage au séminaire mêlé à sa grande connaissance dhistoires salaces, en fond un homme charismatique, escroc sans scrupules et personnage peu recommandable. Dans cet ouest encore sauvage et enclavé, mais en voie de modernisation, il fait la rencontre dune troupe de bateleurs religieux menée par Sur Sharon Falconer. Adulée pour sa façon sincère et passionnée de transmettre la bonne parole et de reconduire les foules sur les chemins de léglise, Sur Sharon et son équipe organisent leurs déplacement à la manière dun commerce tout à fait lucratif. Par opportunisme, Gantry va se proposer de mettre ses talents dorateur et de vendeur à leur service. Jusquà ce que naissent en lui des sentiments pour Sur Sharon. Mais les évènements vont peu à peu prendre une tournure différentes lorsque la presse locale sinterroge sur les réelles motivations de la troupe et lorsque des fantômes du passé trouble de Gantry refont surface pour mieux le faire chanter et tomber
« Comment je sais que Dieu existe ? Je le sais pour avoir vu le Diable bien des fois »
Le cinéma de Richard Brooks aura marqué une certaine époque du cinéma Hollywoodien. Dans une production générale trop marquée par des propos souvent trop lisses et puritains, Brooks aura souvent, derrière des mises en scènes des plus classiques, développé des sujets très critiques à lencontre de la société américaine. Des films comme « Cas de conscience » (1950), « Bas les masques » (1952), ou « Graine de violence » (1955) ont à ce titre marqué une époque et assis la réputation anticonformiste du réalisateur. Mais plus que tout, on doit à ce réalisateur les succès « De sang froid », ladaptation du best-seller de Truman Capote réalisé en 1967, et surtout « La chatte sur un toit brûlant » en 1958. Chronologiquement, cest dailleurs juste après le succès de ce dernier film que Brooks sattellera au fastidieux projet « Elmer Gantry », adaptation du roman de Sinclair Lewis, qui avait fait scandale lors de sa publication en 1927. A noter enfin que ce film aura été luvre la plus reconnue et récompensée de Brooks puisque le film aura récolté trois statuettes lors des Oscars de 1960 : meilleur acteur pour Burt Lancaster (le seul Oscar de sa carrière), meilleure actrice dans un second rôle pour Shirley Jones, et meilleur scénario pour Brooks, dont ce sera le seul Oscar personnel de sa carrière.
« Montrez-moi comment vous êtes généreux. Car vous nêtes pas sans savoir que Dieu sait créer le lait mais ne sait pas créer largent »
uvre dense et complexe, « Elmer Gantry » sattaque de front à la question de la religion et plus particulièrement aux méthodes mercantiles de celle-ci. Tourné dans une Amérique de début de 20ème siècle à cheval entre traditions du passé et progrès des temps modernes, le film met en scène un vendeur décomplexé et baratineur qui rejoint et de met au service dune troupe de prêcheurs ambulants. Personnalité complexe, Gantry est à la fois croyant (il a été renvoyé de lécole des prêtres), pêcheur, et amoureux de la prêcheuse Sharon. De cette histoire particulière, Brooks en vient a réaliser une critique plus générale de lAmérique, où la religion domine non sans hypocrisie la société. Elle prend ici des tournures de spectacles, de show, où se produisent des prêcheurs tantôt clownesques (comme Gantry), tantôt illuminés par la conviction en leurs propres mensonges (sur Sharon). Les représentations sont organisés de la même manière que des spectacles ambulants, avec des équipes, du matériel, toute une logistique, et de juteux contrats qui sont négociés et signés avant chaque déplacement dans une nouvelle ville. De cette manière les autorités religieuses locales espèrent avoir en retour à leur investissement un regain dintérêt des habitants pour la religion. Mais plus que tout, « Elmer Gantry le charlatan » dénonce également le poids de la religion dans la société américaine. Société hypocrite à la fois puritaine et tolérant dans ses villes bordels, salles de jeux clandestines et trafics dalcool. Société qui serait prête à lyncher un journaliste agnostique mettant en doute les méthodes et les motivations de ces prêches spectacles et à suivre un prêcheur hypocrite et particulièrement peu recommandable. Société versatile qui change de camp avec violence au gré des révélations sur le passé et les actes des uns et des autres. Société dangereuse parce que guidée par lirrationnel plus que par la raison.
« Etes-vous trop fier pour vous agenouiller ? Vous ne croyez peut-être pas en Dieu, mais Dieu lui croit en vous »
Mais il serait réducteur de limiter cet « Elmer Gantry » uniquement à cette critique sociale. Car ce film est aussi le portrait dun héros hors normes, Elmer Gantry, personnage gouailleur et manipulateur, haut en couleur, de sa fulgurante ascension à son irrémédiable chute. Prédicateur opportuniste, orateur de talent, Elmer Gantry est un personnage fort en gueule, qui se découvre ici un pouvoir grisant sur la foule, un pouvoir de manipulation, et qui narrive pas au final à convaincre la femme quil aime de le suivre. On pourra toujours reprocher un certain conformisme dans la mise en scène très linéaire de Brooks. Néanmoins, un sujet aussi complexe et une telle densité de thèmes dans un même film nécessitait un moyen narratif simple permettant doptimiser la clarté de lhistoire. Et cest là où le scénario sans failles et dune grande fluidité de Brooks se révèle impeccable. Dialogues percutants et dune grande intelligence, mise en scène et montage dynamique, Brooks livre ici une grande réalisation, à laquelle on ne pourra peut-être que reprocher quelques petits problèmes de rythme qui se ressentent notamment en raison de la trop longue durée du film (2h30 tout de même !). Il brille aussi par son impressionnante direction dacteurs, en tête desquels on trouve un Burt Lancaster au mieux de sa forme, ne faisant quun avec son personnage. Sourire carnassier, yeux bleu acier, gouailleur et gentiment canaille, il ne joue pas Elmer Gantry, il est Elmer Gantry ! Face à lui, Arthur Kennedy, en journaliste lucide, livre une prestation dune belle gravité contenue. Du trio, cest Jean Simmons (lépouse du réalisateur) qui déçoit le plus dans son interprétation sans saveur de prédicatrice. A noter enfin la jolie prestation de Shirley Jones, lauréate méritée pour loccasion de lOscar du meilleur second rôle féminin..
« - Pourquoi certains ne trouvent dans la Bible que de la haine ?
- Le peuple naime pas les Dieux trop humains »
Film complexe et critique, « Elmer Gantry » a marqué son temps par le côté scandaleux de son propos. Attaque frontale contre les dérives mercantiles des religions et leurs mises en scène spectacles, Brooks soffre ici son film rebelle, irréprochable grâce à un scénario subtil et très bien écrit, et grâce à une interprétation habitée de Burt Lancaster. On ne pourra que constater avec une certaine inquiétude que le phénomène dénoncé par le livre de Lewis en 1927, et par le film de Brooks en 1960, soit toujours autant dactualité en 2007, puisque la religion en général ne sest jamais si bien porté aux USA, et les télé évangélistes nont jamais été aussi nombreux, riches et influents. Une impression dangereusement renforcée avec les évènements de ces dernières années (11 septembre, guerres « justes » en Afghanistan et en Irak. Un film rebelle et visionnaire, à voir, forcément !
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