L'heure zéro
« Je naime pas les romans policiers. Ils commencent par le meurtre alors que le meurtre est laboutissement, la conclusion. »
Bretagne. Dans sa grande propriété à flanc de falaises de la Pointe aux mouettes, Camilla Tressilian reçoit quelques hôtes pour les vacances. On y retrouve en tête son neveu, Guillaume Neuville, riche playboy quelle a quasiment élevé et quelle considère comme son fils. Ce dernier est venu avec sa nouvelle épouse, lexubérante Caroline, dont les manières vulgaires ne font pas lunanimité. A linverse de sa première épouse, Aude, raffinée et discrète, appréciée de tous, et que Guillaume a invité à la surprise générale et au grand dam de sa nouvelle compagne. Ajoutons à cela la présence dun ami denfance de Guillaume et dAude, Thomas, de retour dune longue expédition à travers lAsie, de Latimer, un ami de Caroline, et de la secrétaire particulière de Camilla, lénigmatique Marie-Adeline. Tout ce beau monde cohabite et se croise au gré des paisibles journées de soleil breton, où seules les frasques de Caroline, jalouse de se retrouver sous le même toit que sa rivale, viennent troubler quelque peu le calme ambiant. Jusquau matin où lon retrouve Camilla Tressilian assassinée dans son lit. Pour le Commissaire Bataille, aucun doute, lassassin était dans la maison au moment du crime
« Tout converge irrémédiablement vers lheure du crime. Lheure zéro »
Histoires pourtant taxées par certains de poussiéreuses et de désuètes, Pascal Thomas récidive et signe la passe de deux en adaptant à nouveau Agatha Christie. Après « Mon petit doigt ma dit », sorti en 2005, il signe donc « Lheure zéro », adaptation du roman « Towards zero », édité en 1944. Si la romancière a été pas mal adaptée au cinéma (« Dix petits indiens » de René Clair en 1945, « Témoin à charge » de Wilder en 1957, « Le crime de lOrient Express » de Lumet en 1974, ou encore « Meurtre sur le Nil » de Guillermin en 1978), le genre, désuet, semblait ne plus passionné ni les foules, ni les cinéastes. Mais les années 2000, du moins en France, ont vu une sorte de mini engouement pour la réadaptation des vieux classiques de la littérature policière. Outre « Mon petit doigt ma dit », on se souvient ainsi tous de la saga Rouletabille signée Bruno Podalydès (« Le mystère de la chambre jaune » en 2003 et « Le parfum de la dame en noir » en 2005). En tenant compte du fait que « Mon petit doigt ma dit » a été un succès inespéré pour le réalisateur dont la carrière en dents de scie avait connu quelques traversées du désert consécutives à des échecs commerciaux (dont « Le grand appartement » sorti lannée dernière et qui navait pas trouvé son public), il nest donc pas étonnant de le voir adapter une nouvelle fois la célèbre romancière anglaise. Histoire de tenter de renouer avec le succès ?
« Jobserve ce crabe. Il fait le mort, mais en fait il est prêt à dévorer tout ce quil y a autour de lui. »
Ladaptation des romans dAgatha Christie est toujours un exercice périlleux tant ces histoires sont ancrées dans la mentalité dune époque désormais largement révolue et tant les dénouements des intrigues sont improbables et souvent tirés par les cheveux (on est clairement à des années lumières des « Experts » !). Et cette histoire-ci, qui nest et de loin ni la plus connue ni la meilleure de lauteur, ne déroge pas à la règle : cottage de bord de mer, décor cosy, notables fortunés de province, autant le dire tout de suite, comme dans une bonne vieille partie de cluedo, lenquête tend ici à prouver que lassassin est bien le Colonel Moutarde avec le chandelier. Et si ce nest pas lui cest tout comme. Dans ces conditions, difficile de se passionner pour une enquête dont le dénouement, improbable et grand-guignolesque, se devine presque à lavance. Et ce même si Pascal Thomas la développe du mieux quil peut. Mais comme dans la démarche de lauteur, lessentiel est ailleurs pour Thomas, à savoir dans latmosphère, dans la présentation des personnages et de leurs rapports, dont le crime ne va servir quà faire ressortir les aspérités. Et cest dans sous cet angle que ce film est le plus réussi et le plus intéressant. En effet, comme dans « Mon petit doigt ma dit », le réalisateur trouve et impose une tonalité parfaitement adaptée, très décalée, à la fois grave, austère et caustique. Même chose pour lambiance, qui, grâce à un gros travail sur les décors et les costumes, semble étrangement intemporelle, mêlant des éléments daujourdhui et ceux des années 30-40. Si on ajoute à cela une lumière volontairement irréelle, on peut dire que Pascal Thomas réussit un agréable film dambiance.
« Lavantage dêtre seul, cest de pouvoir mourir nimporte où »
Dommage cependant que sa mise en scène, qui veut jouer volontairement sur la lenteur relative du récit, soit aussi feignante, ne compensant jamais les faiblesses dun scénario désuet et manquant de surprises. Sur le papier, le point fort du film était son casting hétéroclite. Mais là encore, on est loin du sans faute. Côté satisfactions, on notera lenthousiasmante performance de François Morel, qui dote son personnage dune interprétation toute en légèreté, collant au plus près à lambiance des romans originaux. Danielle Darrieux est (comme à son habitude) également très convaincante, tout comme la trop rare Alessandra Martines et Clément Thomas. Si Chiara Mastroianni semble un peu trop lisse et effacée, les grosses déceptions viennent de Melvil Poupaud, qui cabotine un peu trop, et surtout de Laura Smet, décidément la plus mauvaise actrice de sa génération. Agaçante, à côté de la plaque, ses scènes dhystérie pure atteignent le summum du ridicule.
« - Cest facile, cest le fric le mobile.
- Non, cest pire. Je crois que cest la haine »
Genre à part auquel on peut être aussi bien fan quallergique, ladaptation des vieux classiques surannés de la littérature policière donne souvent lieu à des projets originaux. Dans le cas de « Lheure zéro » on regrettera simplement que Pascal Thomas, pourtant passionné de romans, nai pas trouvé mieux à adapter que ce roman secondaire dans luvre dAgatha Christie. Archi prévisible, doté dun dénouement des plus improbables, « Lheure zéro » est presque une caricature du roman policier façon Agatha Christie. Ce choix est dautant plus dommage quà linstar de « Mon petit doigt ma dit », le réalisateur a pourtant su créer une ambiance bien particulière, intemporelle, entre froideur et causticité, et dont le succès est accentué par les jolies interprétations de Morel et de Darrieux. Sans être ni un échec ni une réussite probante, « Lheure zéro » est un petit film qui se laisse regarder sans déplaisir. De là à dire quil faut absolument le voir, il ny a quun pas que je ne franchirais pas.
Commenter cet article