Le royaume
« - Cest comment en Arabie ?
- Un peu comme sur Mars
- Jai pas pris les bonnes fringues alors ! »
Arabie Saoudite. Une zone résidentielle protégée où vivent des travailleurs américains dune société pétrolière et leurs familles est prise pour cible par des terroristes. Un double attentat particulièrement violent et machiavélique dont le bilan est lourd de plus de 100 morts. Parmi eux, on compte un agent du bureau local du FBI. A lannonce de la nouvelle, la section du FBI du Sergent Fleury, spécialisée dans la lutte anti-terroriste et dont dépendait le défunt agent, engage un bras de fer avec la bureaucratie de Washington pour obtenir le droit daller enquêter sur place. Idée jugée irréaliste par les chefs de la diplomatie qui ne veulent pas provoquer de crise dingérence avec des alliés aux modes de fonctionnement et de penser aussi versatiles quimprévisibles. Grâce à un coup de force du Sergent Fleury, sa section obtient une permission denquêter sur les lieux durant cinq jours. Mais une fois sur place, entre un protocole tatillon, qui limite le champs daction des enquêteurs du FBI au strict minimum par volonté de sauver la face, et lhostilité de la population et des autorités locales, pas forcément hostiles aux mouvement terroristes, lenquête prend une tournure beaucoup plus difficile que prévue
« - Ya beaucoup de méchants
- Oui, mais tu nen fais pas partie »
Dans la veine des récents « Syriana » (Gaghan 2006) ou « Jarhead » (Mendes 2006), et en attendant « Lions et agneaux » de Robert Redford, « Le royaume » sengouffre dans ce nouveau genre américain, très marqué « post-11 septembre 2001 », de films tentant dapprécier avec du recul la politique américaine à légard des pays du Golfe, et de la guerre anti-terroriste qui y est menée. Un projet ambitieux et casse-gueule donc. Si le film est purement fictionnel, le scénariste du film, Matthew Michael Carnahan, avoue cependant sêtre inspiré de lattentat contre des ressortissants américains perpétré à Khobar, en Arabie Saoudite, en 1996, pour construire la trame de son récit. Aux manettes dun film au sujet aussi sensible, il était donc étonnant de retrouver Peter Berg, acteur (« Last seduction » de John Dahl, « Collateral » de Mann) tout dabord, puis cinéaste qui sétait illustré avec une poignée de films plus ou moins convaincants, comme « Very bad things » (1999), ou encore « Bienvenue dans la jungle » (2003). A noter enfin quhormis quelques scènes, tournés en huit jours aux Emirats Arabes Unis, lessentiel du film a été tourné dans le désert dArizona.
« 47 de mes hommes ont été tués. Il y a 80 000 policiers dans ce pays et le traitre peut être nimporte lequel dentre eux. Excusez-moi de ne pas avoir de certitudes »
Difficile de faire rentrer « Le royaume » dans un genre précis, tant celui-ci embrasse plusieurs genre et tente vainement à se faire prendre pour ce quil nest pas. Ainsi, derrière lambition dêtre un vrai film posant les bases dune réflexion sur la lutte anti-terroriste et les relations politiques entre les Etats-Unis et les pays du Golfe, se cache ni plus ni moins quun gros film daction made in Hollywood. Film daction dailleurs plutôt réussi, qui commence avec une scène de double attentat hallucinante de vérité, la meilleure pour ainsi dire depuis des lustres, et qui se termine par un morceau de bravoure de quarante minutes, alternant cascades en voitures tous-terrains, fusillades et explosions dans un immeuble avec une course contre la montre pour libérer un otage. Sans être anthologique, cette scène se révèle pour autant très efficace, le réalisateur maîtrisant à la fois les ficelles du gunfight et celles de la création dambiances stressantes avec son lot dimages saccadées et de combats dans des lieux clos et exigus. En cela, à défaut dêtre particulièrement innovante, la partie film daction de ce « Royaume » est très réussie. Mais le pari cinématographique de rendre compte de manière fictive dune réalité géopolitique est toujours une entreprise périlleuse et à double tranchant. Même si le projet est porté à la base par les meilleures intentions et un soucis relatif dobjectivité, il est toujours difficile déviter de sombrer dans la caricature, la démagogie, ou le parti pris difficilement défendable. Et « Le royaume » en est le parfait exemple. Ainsi, pourtant peuplé de bonnes intentions, visant à dénoncer pelle mêle la violence, la guerre, les préjugés, le mépris et larrogance des américains, et la complexité et lhypocrisie des dirigeants et de la société saoudienne, le film se plante misérablement. Sur le fond, le portrait politique et social dressé de lArabie Saoudite semble assez juste, entre modernité absolue (ses villes ultra-modernes sorties du désert, ces voitures dernier cri, son luxe, son côté high-tech), et poids des traditions ancestrales et de la religion (le pouvoir est exercé par des princes fantoches, partagés entre le poids de la population, très croyante et largement anti-occident, et lalliance avec les pays occidentaux, qui payent à prix dor lor noir ; la société est miné par danciens terroristes désormais repentis qui travaillent à encadrer la jeunesse). Société où il ne faut pas faire de généralités, le personnage de chef de la police local, bon père de famille et homme de justice, étant là pour nous le rappeler. Mais pour ne pas faire de manichéisme, il aurait fallu autant dhonnêteté dans la manière de décrire les américains. Certes, ceux-ci arrivent tels des cow-boys à forcer le droit dingérence pour venir mener leur enquête sur un sol qui nest pas le leur, avec leurs préjugés et leur sentiment de supériorité, mais le portrait au vitriol sarrête là. Ce sont finalement eux qui arrivent à mener à bien lenquête en donnant la leçon à une police locale parfaitement incompétente, ce sont eux encore qui finissent par nettoyer une rue où les terroristes sont retranchés à 4 contre une bonne cinquantaine dhommes beaucoup mieux armés. Et sans quun américain ne soit tué ! Et quand le chef de lexpédition se lie damitié avec le chef de la police locale, il y a là encore une forme de paternalisme des plus rebutants (Fleury prend la défense physique de son alter ego saoudien lorsque celui-ci est frappé par un militaire). Reste la phrase finale, prononcée irrémédiablement dans les deux camps, comme pour nous monter luniversalité de la connerie et de la barbarie humaine. Mais il est déjà trop tard, la démonstration maladroite et malsaine est déjà passée par là, et la mayonnaise ne prend plus.
« Une fois quon admet quon est pas éternel, la mort ne fait plus peur. Reste une question. Comment voulez-vous mourir : debout ou à genoux ? »
Dautant que la mise en scène, de facture assez classique, joue pleinement la carte du film daction, sans jamais mettre en valeur son aspect plus politique. Ce sont dailleurs les scènes dactions qui sont le plus réussies, filmées et montées avec énergie, elles font de ces scènes des moments efficaces de divertissement, effaçant un peu plus la partie du film qui devait faire réflechir. Le casting semble également avoir été choisi pour spécialement pour ces seules scènes. Ainsi ni Jamie Foxx et sa carrure de bûcheron, ni Jennifer Gardner, ni Chris Cooper, ne font preuve à aucun moment dun petit peu de subtilité pour rendre le film plus poignant. Au contraire, avec leurs gros sabots, ces comédiens ne font qu'accentuer les stéréotypes américains qui devaient être dénoncés.
« Tout poseur de bombe finit par être victime de son travail »
Projet ambitieux et louable, « Le royaume » était annoncé comme un film politique, devant retranscrire avec plus de justesse quà laccoutumée les comportements américains et saoudiens, et dénoncer pelle mêle luniversalité de la violence et de la bêtise. Manque de bol, létiquette ne correspond pas tout à fait au produit. La faute au duo Berg et Carnahan, qui ne peuvent sempêcher, comme dans beaucoup de productions de ce genre, davoir une vision encore trop idéalisée et angéliste des comportements américains, et de préférer en cours de route laisser tomber le film politique pour faire un bon vieux gunfight des familles, aussi ridicule (par le nombre de morts) quefficace. Pour autant, « Le royaume » nest pas non plus une catastrophe, mais tout simplement un bon gros nanar divertissant, parfait pour une séance de cinéma pop-corn. A condition de ne pas tout prendre au pied de la lettre.
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